Articles

Diversité d’origine VS Diversité d’opinion

Le 20 juillet 2020, Pauline Bouty annonce dans un tweet la création d’un groupe sceptique dédié exclusivement aux femmes « Zététique, scepticisme et féminisme ». La création de ce groupe a provoqué diverses réactions : soit des soutiens, soit des critiques.

 

 

Hygiène Mentale a été l’un de ceux qui ont accueilli la nouvelle avec enthousiasme et a expliqué sur Twitter que toute initiative visant à augmenter le nombre de femmes dans la communauté sceptique devrait être soutenue. L’objectif est de réduire la proportion d’hommes. L’idée implicite est que l’augmentation du nombre de femmes serait bénéfique à l’activité sceptique sans explication, comme une vérité révélée. Il n’y a aucune explication quant à la manière dont l’augmentation du nombre de femmes (ou de minorités raciales) bénéficierait à la communauté zététique.

 

 

En fait, nous pouvons être d’accord avec l’observation selon laquelle le milieu zététique/sceptique est compartimenté et homogène. Le problème est le critère d’évaluation de la compartimentation et de l’homogénéité du milieu zététique.

Dans cet article, nous proposons d’analyser la croyance selon laquelle une valeur bénéfique devrait être accordée à l’accroissement de la diversité en fonction de l’origine raciale et sexuelle des individus plutôt qu’à la prise en compte de la diversité des opinions intellectuelles.

 

Contradiction entre scepticisme et cloisonnement idéologique

 

Le scepticisme est le doute et la remise en question d’un ensemble d’affirmations sur la réalité en utilisant la méthode et les connaissances scientifiques. Comme nous sommes tous biaisés par nos intuitions sur la réalité, nous avons tendance à les rationaliser. La meilleure façon de sortir de ce biais de confirmation est de nous confronter à des idées qui sont opposées aux nôtres. Plus nous sommes conscient des idées opposées et diverses, plus nous réduisons nos préjugés.

Pour ce faire, il est avantageux de connaître et d’échanger avec des personnes qui ont une compréhension différente de la sienne. En effet, les autres appliqueront le scepticisme à nos propres idées. Il est plus facile pour nous de remettre en question les croyances des autres que nos propres croyances.

« La raison est une adaptation à la vie sociale où la confiance doit être gagnée et demeure limitée et fragile » explique Hugo Mercier. « C’est pourquoi nous sommes plus prompts à pointer les erreurs de raisonnement chez les autres qu’à démasquer les nôtres. »

L’appartenance à un groupe d’opinions hétérogènes permet de mutualiser les efforts des sceptiques.

Mais si nous connaissons et interagissons avec des personnes qui pensent de la même façon, alors cela a peu de chances de se produire et, pire encore, cela renforce nos préjugés.

Alors, comment un groupe composé exclusivement de personnes du même sexe et d’une idéologie politique commune pourrait-il éviter de tomber dans le piège des biais de conformité ?

 

L’homogénéité intellectuelle affaiblit l’esprit critique

 

À travers l’étude d’un article, nous allons comprendre comment une forte homogénéité intellectuelle est préjudiciable pour l’exercice d’une pensée sceptique et critique.

Dans cet article, David Rozado explique comment, dans le monde universitaire américain, la diversité au sens de la diversité d’origines remplace la pluralité des opinions. Cette diversité accrue au sens de l’origine (race, ethnie ou sexe) ne s’accompagne pas d’une diversité intellectuelle.

« Ce travail a mis en évidence un schéma dans lequel les universités d’élite aux États-Unis identifient massivement le concept de diversité avec des sous-types démographiques de diversité tels que la race, l’ethnicité ou le sexe, plutôt qu’avec des dénotations intellectuelles de diversité telles que des opinions, des principes ou des idées dans leur présence institutionnelle en ligne. »

 

 

Plus loin dans l’article, il explique les inconvénients de l’homogénéité des opinions :

« On pourrait également faire valoir que la diversité démographique est plus bénéfique que la diversité intellectuelle pour les performances des groupes afin de justifier les préférences des universités en matière de diversité des points de vue démographiques. Cette hypothèse est contraire aux preuves existantes sur le sujet. L’hétérogénéité des points de vue au sein des groupes humains a été associée à plusieurs reprises à des résultats bénéfiques lorsque le groupe poursuit des objectifs exploratoires ouverts par opposition à des objectifs d’exploitation où des routines bien établies sont appliquées à des problèmes bien définis (Duarte et al. 2014). En effet, la diversité des points de vue a été associée à l’augmentation de l’ensemble des outils intellectuels permettant de trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes (Page 2008) et à l’encouragement de la créativité (Simonton 1999). Il a été démontré que même les équipes éditoriales politiquement polarisées produisent des articles Wikipédia de meilleure qualité sur des sujets politiques, sociaux et scientifiques (Shi et al. 2017) que les équipes politiquement homogènes. »

En résumé, même s’il y a une augmentation de la diversité au sein de la zététique selon des critères raciaux ou sexuels, cela ne changera pas le cloisonnement intellectuel et la rareté des points de vue. Cependant, un milieu qui prône le doute méthodique aurait beaucoup plus à gagner d’une diversité d’opinions. Il y aurait toujours un membre qui mettrait méthodiquement en doute les croyances et les affirmations de ses collègues sceptiques (par exemple : le féminisme n’est-il pas une idéologie basée sur des théories pseudo-scientifiques ?).

 

De quelle homogénéité la zététique doit-elle se prémunir?

 

Après la lecture de l’article, nous pouvons affirmer que le critère d’évaluation du cloisonnement et de l’homogénéité du milieu zététique est le critère intellectuel.

De quelle homogénéité intellectuelle la zététique souffre-t-elle ? Étant donné que nous n’avons connaissance d’aucune étude sur les tendances politiques dominantes au sein de la zététique francophone, nous ne pouvons pas être affirmatif.

Cependant, selon David Rozado, les études prouvent que les professeurs de tendances politiques démocrates (de gauche) n’hésitent pas à discriminer les individus en fonction de leurs idées.

« Les universitaires ne sont pas à l’abri de ces préjugés. (Inbar, Y., & Lammers 2012) ont constaté qu’un nombre important d’universitaires ayant répondu à leur enquête sur l’environnement universitaire étaient prêts à admettre qu’ils feraient preuve de discrimination à l’égard des conservateurs lors d’entretiens d’embauche, de demandes de subventions, d’examens d’articles de journaux et d’invitations à participer à un symposium de recherche. »

Le milieu zététique doit se prémunir contre toutes dérives idéologiques, en particulier les idéologies de gauche, car elles sont dominantes. Dans un contexte politique différent, une autre idéologie serait tout aussi néfaste pour la pensée critique. Mais comme le montre l’article, les gens de gauche n’hésitent pas à discriminer, non pas en fonction de l’origine de l’individu, mais en fonction de ce qu’il pense.

 

Conclusion

 

En résumé, nous devrions évaluer le milieu zététique sur la capacité à entendre des idées qui peuvent sembler opposées à ses convictions.

Le Cercle Cobalt estime que les zététiciens sont influencés par les idées de gauche (ce n’est pas une affirmation catégorique, il est évident qu’il y a des gens qui sont des sceptiques apolitiques ou qui ne sont pas de gauche) et c’est pourquoi le tweet de notre collègue Thomas Durand ne nous surprend qu’à moitié.

Mais, il est important de rappeler que le milieu zététique est uni par la confiance dans la science et dans la méthode scientifique pour vaincre les mensonges et les idéologies. Par conséquent, cet article ne doit pas être lu comme une attaque stérile mais comme une critique bienveillante dans l’intérêt général. Comme l’atteste ce tweet, il y a des sceptiques qui restent en accord avec l’esprit critique.

 

 


 

https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs12115-019-00362-9

https://www.nature.com/articles/s41562-019-0541-6

https://lejournal.cnrs.fr/articles/notre-raison-est-elle-rationnelle

Simonton, D. K. 1999. Origins of Genius: Darwinian Perspectives on Creativity. Oxford, New York:Oxford University Press.

Leave a Comment