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DOSSIER SPECIAL : QI et Intelligence Humaine – Les 10 mensonges les plus répandus sur le QI

EPISODE 3 : Ribéry est-il un génie ?

 

Dans cet article, nous allons débunker une célèbre affirmation : « Tout le monde est intelligent, mais à sa façon ». Cette idée satisfait un relativisme égalitaire, il n’y aurait pas une seule intelligence mais plusieurs intelligences, de sorte que chaque individu est intelligent (à sa manière).
Pour mieux comprendre l’erreur fondamentale de ce raisonnement, nous allons analyser l’hypothèse d’Howard Gardner sur les intelligences indépendantes. A partir des limites et des absurdités, nous comprendrons mieux pourquoi cette distinction entre les différents types d’intelligence est basée sur la confusion et un manque de rigueur méthodologique.

 

1. « Tout le monde est intelligent, mais à sa façon »

 

 

Cette croyance est fortement ancrée dans la culture populaire, et pour cause, elle incarne un grand espoir. Un grand espoir pour tous ceux qui ne s’y retrouvent pas dans le système éducatif classique, un espoir pour tous ceux qui refusent de hiérarchiser les gens sur un même critère. En somme, elle est un soulagement chez les égalitaristes et les relativistes, opprimés par l’affreux quotient intellectuel. 

Elle fait référence à la théorie des 7 (puis 8) Intelligences d’Howard Gardner (1) formulée dans la décennie 1970, 1980.

Gardner distingue 8 formes d’intelligence : Logico-mathématique, linguistique, musicale, somato-kinesthésique, visuo-spatiale, naturalistique, interpersonnelle et intrapersonnelle (2). 

Selon lui, ces Intelligences sont complètement indépendantes les unes des autres et du moment que nous réussissons dans l’un de ces domaines alors nous sommes intelligents même si nous sommes mauvais ailleurs. Donc un excellent footballeur nul à l’école est aussi intelligent qu’un premier de la classe nul en sport.

Soyons clair, aucun chercheur ne donne du crédit à ce concept, pour la simple raison que c’est un concentré d’idéologie politique et de bricolage d’opinion (3,4,5). 

 

2. Un postulat erroné

 

Exceller dans un domaine et être médiocre dans d’autres est rare, cela concerne que les cas pathologiques par exemple les autistes de haut niveau (6). 

Il faut avoir à l’esprit que toutes les habiletés cognitives sont inter-corrélées. Si vous êtes doué pour une tâche, vous le serez sur les autres, avec une variation dans les résultats certes, mais vous le serez (7,8).

 

 

De plus, exceller dans un domaine particulier peut s’expliquer par bien des choses. Il y a effectivement l’intelligence mais également d’autres facteurs tels que la motivation et l’entraînement.

Cependant, les anti-QI n’ont rien inventé. Spearman avait déjà théorisé ces aspects de la performance (9) sous le terme de « facteur s » (facteur spécifique) et ce bien avant Gardner : le « père » des 9 intelligences. 

 

3. Un vocabulaire trompeur

 

 

Gardner crée une confusion entre « intelligence », « capacité » et « talent » (10,11,12,13). 

Être efficace dans ces mouvements, fort, rapide, n’a rien à voir avec l’intelligence. Si Usain Bolt est le meilleur sprinter de tous les temps c’est parce qu’il combine différents avantages mécaniques du fait de sa morphologie et de sa génétique accompagné par un entraînement. Cela n’est pas le produit de l’intelligence de ses quadriceps. L’intelligence est intrinsèquement lié à un seul organe, le cerveau et sa capacité à produire une pensée.

 

4. Un fourre-tout

 

La confusion entre intelligence et personnalité est également faite avec les intelligences interpersonnelle et intrapersonnelle censées représenter nos compétences sociales, qui peuvent mêler des traits comme l’extraversion, l’agréabilité, l’introversion et l’altruisme (8). Par exemple, vous pouvez très bien comprendre parfaitement les autres mais passer pour quelqu’un d’associable ne comprenant rien aux interactions humaines, alors que vous êtes simplement très timide ou complexé.

 

5. Un postulat non scientifique

 

 

La faille principale de cette hypothèse est la non mesurabilité des ces prétendues intelligences (8,14,3). Howard Gardner n’a jamais trouvé un test permettant la mesure de ses intelligences, il le reconnaît lui-même en 1997 (15). La mesure étant la base de toute science, les « 8 Intelligences » ne sont rien de plus qu’une idée (10) que n’importe quel élève en première année de psychologie aurait pu sortir de son chapeau.

 

6. Intelligence n’est pas compétence ! 

 

Pour illustrer les intelligences indépendantes, Gardner nous parle des mécaniciens qui réparent des voitures tandis que des génies seraient incapables de changer un pneu.

 

 

Alors déjà, il n’est pas clairement démontré que les gens très intelligents soient bébêtes pour des tâches du quotidien. Il s’agit du modèle « Clever sillies » de Charlton, autrement dit le « génie débile », expliquant que les gens très intelligents ne sont pas très débrouillards et éprouvent des difficultés à réaliser certaines banalités de tous les jours. Ce modèle ne fait pas l’unanimité et a fait l’objet d’une critique  en 2018 par Edward Dutton (16). 

Ensuite, même si la compétence technique et le savoir-faire sont influencés par la cognition, ces qualités dépendent surtout de l’effet d’apprentissage, de la pratique et de l’entraînement (10,11,12). Vous pouvez progresser et atteindre un bon niveau sur une tâche donnée par la simple répétition de cette tâche, même si vous êtes bête. 

Donc si vous n’avez jamais touché à un pneu, il vous sera très compliqué d’en changer. 

Il ne faut alors pas tout mélanger, les mots ont un sens, et celui de l’intelligence représente la pensée et la réflexion. 

 

CONCLUSION

 

Ce postulat est en réalité un moyen pour Gardner de valoriser chaque individu, chaque oublié de la filière intellectuelle, de sauvegarder leur honneur.

Même si l’intention est louable, ce n’est pas en sabotant la recherche et en appelant tout et n’importe quoi “intelligence” qu’il renversera la tendance.

De plus, ce sont surtout les adeptes de cette doctrine qui sont obsédés par l’intelligence. On peut être une personne géniale, avoir des tas de qualités, mais ne pas être très intelligent, ce n’est ni un drame ni une insulte.

Je vais conclure ici en vous recommandant l’excellent article « Que dit la science à propos de la théorie des intelligences multiples ? » De Serge Larivée et Carole Senéchal (12), très complet et disponible en source.

 

Sources : 

 

  1. The Theory of Multiple Intelligences. Katie Davis, Joanna Christodoulou, Scott Seider, and Howard Gardner. Cambridge University Press. January 11.
  2. .Gardner, H. (1999). The disciplined mind: What

all students should understand.NewYork,NY: Simon & Schuster.

  1. Bouchard, J. T. (1984). [Recension du livre Frames of mind : The theory of multiple 

intelligences].. American Journal of Orthopsychiatry, 54,506-508.

  1. Smith, F. (1985). [Recension du livre Frames of mind : The theory of multiple intelligences]. Interchange, 16(1), 120-126.
  2. Carroll, J. B. (1984). An artful perspective on talents. [Recension du livre Frames of mind :

The theory of multiple intelligences.] Contemporary Psychology, 29(11), 864-866. 

  1. Richard Haier. 2017 : « The neurophysiology of Intelligence ».
  2. Spearman, Charles. (1904). General intelligence, objectively determined and measured. American Journal of Psychology.15,201–293.
  3. Linda S. Gottfredson : Schools and the g factor. 2004.
  4. Spearman C. La mesure de l’intelligence. La nature. 1927; 120 : 577-578. doi: 10.1038 / 120577a0.
  5. https://www.scepticisme-scientifique.com/episode-329-les-intelligences-multiples-de-gardner-nicolas-gauvrit/
  6. Hunt, E. (2004). Multiple view of multiple intelligence. [Recension de Intelligence reframed : Multiple intelligence in the 21st century]. Contemporary Psychology, 46(1), 5-7.
  7. Que dit la science à propos de la théorie des intelligences multiples ?

What does science say about the multiple intelligences theory ?

Serge Larivée Carole Senéchal. Université de Montréal-Université d’Ottawa.

  1. Carroll, J. B. (1984). An artful perspective on talents. [Recension du livre Frames of mind : The theory of multiple intelligences.] Contemporary Psychology, 29(11), 864-866.
  2. Alix, N. M. (2000). The theory of multiple intelligences : A case of missing cognitive matter. Australian Journal of Education, 44(3), 272-293.
  3. Gardner, H. (1997). Les formes de l’intelligence. Paris : Odile Jacob.
  4. Edward Dutton et Dimitri Van Der Linden. Who are the “Clever Sillies”? The intelligence, personality, and motives of clever silly originators and those who follow them. Intelligence Volume 49, March–April 2015, Pages 57-65.

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