Articles

DOSSIER SPECIAL : QI et Intelligence Humaine – Les 10 mensonges les plus répandus sur le QI

 

EPISODE 1 : QI – Mesure valide ou bullshit mondial ?

 

Introduction

 

L’intelligence est un de ces sujets tabous à ne pas mentionner au risque de diviser les individus, de les hiérarchiser selon différentes échelles de valeur. Le problème de l’intelligence est qu’elle n’est pas très « égalitaire ».  Et dans une conception post-moderne où tout n’est que construction sociale, un outil de mesure comme le QI ne peut que provoquer le rejet

Pour discréditer le QI, les sociologues, les médias et les psychologues de bazars y vont chacun de leurs petits commentaires et opinions sans aucun fondement sérieux.

Résultat : on n’entend que des inepties niant le consensus scientifique.

Pourtant, c’est une question fondamentale pour comprendre les individus et la société. Le quotient intellectuel est l’une des mesures les mieux documentées en psychologie. C’est l’une des rares réussites scientifiques en sciences sociales et elle devrait ravir tout le monde.

Le Cercle Cobalt vous propose aujourd’hui de debunker une liste de 10 affirmations sur le QI :

  1. « L’intelligence, on ne sait pas vraiment ce que c’est.. »
  2. « Le QI ne mesure que le QI »
  3. « Le QI n’est pas fiable, car le stress, la fatigue et l’état émotionnel influence les résultats »
  4. « Le QI ne sert qu’à diagnostiquer le retard mental »
  5. « Être diplômé et avoir de bonnes notes, n’a rien à voir avec l’intelligence »
  6. « C’est pas parce que t’es médecin, que t’es intelligent »
  7. « Tout le monde est intelligent, mais à sa façon »
  8. « Le QE (quotient émotionnel) est bien plus important que le QI ! »
  9. « Le QI n’est pas fiable car il ne mesure pas la créativité »
  10. « Le QI est culturellement biaisé pour avantager les blancs »

Les 10 affirmations auxquelles nous répondrons sont les plus courantes. En dehors des chercheurs sur le sujet, il est assez commun d’avoir un public crédule, ignorant les avancées scientifiques dans une discipline, mais le plus inquiétant est que cela touche aussi les personnes ayant une autorité académique, et même les zététiciens. Il est d’ailleurs ironique de lires des zététiciens aller à l’encontre d’un consensus scientifique au nom d’une idéologie.

Dans cet article, je propose de faire mon travail de zététicien et de démystifier les croyances pseudo-scientifiques sur le QI.

Dans ce premier article nous attaquons les bulshits 1, 2, 3, et 4.

 

ARTICLE 1 : LE QI EST-IL BIDON ?

 

1. « L’INTELLIGENCE, ON NE SAIT PAS VRAIMENT CE QUE C’EST »

 

 

 

 

 

 

L’une des affirmations les plus répandues est que l’intelligence serait un concept flou, peu compris par les scientifiques eux-mêmes. Evidement cela est faux. L’intelligence est bien cernée par les psychologues, elle est globalement décrite comme la capacité à résoudre des problèmes et à raisonner. 

Plusieurs chercheurs ont donné leur définition de l’intelligence dont la plus complète et précise est à mon sens celle de Linda Gottfredson (1997) :

« L’intelligence est une capacité mentale très générale qui, entre autre chose, associe les habiletés de raisonnement, de planification, de résolution de problèmes, de pensée abstraite, de compréhension d’idées complexes et d’apprentissage rapide des expériences […]. »

 

 

 

 

 

 

 

Nous pourrions également parler d’efficacité de traitement des données de notre environnement (perception, intégration, analyse) par la combinaison de toutes nos capacités cognitives (fonctions du cerveau). 

 

2. « LE QI NE MESURE QUE LE QI »

Et le mètre ne mesure que le mètre.  

Ceux qui formulent ce genre d’ineptie (il existe même des sceptiques dans le lot) affirment qu’il n’y aurait aucun rapport entre le QI et l’intelligence. Le QI, c’est bidon !

Tout d’abord, il faut dire que ce genre d’âneries est surtout populaire en France. Dans le monde anglo-saxon, ce débat est terminé depuis près de 60 ans. Et pour cause, les tests de QI sont utilisés par les professionnels de santé et le gouvernement dans bon nombre de domaines, de la détection des déficients mentaux et surdoués à la sélection des soldats (1). Bizarre pour un test bidon.

Le point commun de tous les négationnistes du QI est qu’ils ne savent ni ce qu’il mesure, ni ce qu’il prédit. 

Le QI mesure le facteur g, « découvert » par Spearman en 1904 (2). Ce facteur g est le lien entre toutes les performances mentales, autrement dit, si l’on est doué en mémoire ou en raisonnement, on sera forcément doué pour toutes les autres compétences.

On parle alors d’intelligence générale. Toutes nos capacités sont rassemblées en cinq blocs majeurs isolés par Thurstone en 1934 (3) :

  • Le raisonnement
  • Les capacités spatiales
  • La mémoire
  • La vitesse de pensée
  • Les compétences verbales

 

 

Voilà ce que mesure spécifiquement les tests de quotient intellectuel. Et toutes ces capacités, donc g, sont fortement corrélées à différents aspect de la vie sociale comme : 

  • Le revenus (4,5,6,7,1,8,9)
  • Le métier exercé (4,1,10,11,12,)
  • La performance à l’école et au travail (4,13,5,6,1,10,11,12,8)
  • Le statut social (4,8,1)
  • La taille du cerveau (4,5)
  • Le niveau d’agressivité (4,14)
  • La criminalité (4,15,16)

Tout ce qui nécessite d’importantes compétences intellectuelles est corrélé positivement avec le QI. Étrange pour une mesure sans valeur…

Plus vous êtes riche, exercez un métier valorisant, avez un diplôme d’étude supérieur et plus vous êtes intelligent (quelle surprise !).

À l’inverse, si vous êtes agressif, avez déjà commis des délits, il y a fort à parier que vous êtes de l’autre versant de la courbe de gauss. D’ailleurs, il y a un lien entre le nombre d’erreurs qu’on fait dans sa vie, et l’intelligence (17).

Un autre fait intéressant, nos scores aux tests de quotient intellectuel sont à 75% identiques à 11 ans et à 80 ans (18), malgré les modifications cérébrales que nous subissons à l’adolescence puis avec la vieillesse. Drôlement stable ce test qui ne veut rien dire. 

 

 

Pourquoi ce refus du QI ?

L’une des raisons expliquant le doute des gens à l’égard du QI, est la pertinence des épreuves au regard de la vie quotidienne. Pour la plupart, manipuler des chiffres, reconstituer des figures, trouver le mot manquant ou comprendre le déplacement d’un objet en 3D, sont des épreuves abstraites et inutiles qui ne révèlent rien de vos capacités à réussir votre vie et à vous adapter en situation réelle.

C’est encore faux. À vrai dire, il faut comprendre que ce n’est pas l’épreuve en soi qui est révélatrice, mais son niveau de complexité (1). Si on réussi une épreuve mentale difficile, alors c’est transférable aux problèmes de la vie courante. Déduire le nombre de bonbon qu’il faut pour que Paul et Pierre en est une part équitable nécessite une capacité mentale de déduction, et c’est justement cette qualité cognitive qui est évaluée, et non la tâche elle-même (1).


3. « Le QI n’est pas fiable, car le stress, la fatigue et l’état émotionnel influencent les résultats ».

 

Cela me rappelle le collège, lorsqu’on perdait un match de foot ou une partie de playstation. Ce n’est jamais parce qu’on a mal joué, qu’on est moins bon, mais c’est parce que l’autre a triché, ou parce qu’on est fatigué. Tout est bon pour ne pas remettre en cause nos capacités. Et bien c’est pareil avec le QI, bizarrement celui qui a 120 ne s’en plaint jamais.

 

 

Même si ce genre d’hypothèse est pertinent d’un point de vue sceptique, regardons en détail ce qu’il se passe réellement et faisons appel à un peu de logique.

Voyons si ces situations de stress ou de fatigue arrivent réellement, et si oui, qu’est ce que cela implique.

Il nous faut déjà nous demander dans quel contexte se passe un test de QI.

Trois situations ressortent.

La première, est notre propre décision, nous voulons mesurer notre intelligence. Dans ce premier cas, nous pouvons affirmer qu’il y a une motivation qui nous anime. Ainsi, on ne se mettra pas dans une situation qui puisse négativement impacter l’épreuve : faire une nuit blanche avant, faire son test après une rupture amoureuse ou en étant malade. 

Deuxième possibilité, participer à une étude scientifique. Pour ceux ayant passé une thèse ou un Master, vous savez à quel point il est difficile de trouver des sujets. Il faut parfois même les payer. Ce cas peut donc s’apparenter au premier, si je passe un test pour un chercheur, il ne m’a pas mis le couteau sous la gorge, je suis un minimum motivé et parfois même payé. 

De plus la méthodologie scientifique implique de connaître les variables parasites pouvant biaiser les résultats. Donc un peu de modestie s’il vous plaît, vous n’allez pas apprendre à un chercheur spécialisé ce qui peut fausser son test, si vous y avez pensé lui aussi.

La troisième situation concerne les parents voulant tester leur enfant. Et c’est le seul cas où l’argument tient. Ici, ce sont les parents qui décident, l’enfant se fiche de ce test et ne sera pas forcément concentré (le manque d’attention peut-être un trait de très haut QI (19,20) mais encore une fois, les chercheurs le savent et ça n’a jamais perturbé les résultats. 

Pour conclure, tout cela ne semble pas poser problème, surtout au vue des qualités prédictives de la psychométrie, en particulier des tests Logico-mathématiques, sur la réussite scolaire, professionnelle et économique édifiantes (21). 

Les psychologues connaissent les inconvénients de leurs outils et s’y adaptent. La recherche a par ailleurs identifié les limites des tests Stanford-Binet (22,23) et les méthodes de passation sont sans cesse améliorées. Les psychologues ont d’ailleurs constaté une chute temporaire du QI lors d’une dépression, d’une très grande fatigue, d’un épisode fiévreux ou lors de n’importe quel stress émotionnel.

Dites-vous que si vous mesurez votre intelligence après une grosse soirée arrosée, votre QI est peut-être déjà tout trouvé.

 


4. « Les tests de QI ne servent qu’à diagnostiquer le retard mental »

 

Cette affirmation est la moins commune, et tant mieux, parce que c’est la plus stupide.

Voici donc la fameuse courbe en cloche :

 

 

Bon soyons indulgent, il est vrai que le QI fut inventé par Binet pour diagnostic les enfants ayant un retard mental en calculant l’âge mental des enfants (24,25). De nos jours il y a le « QI standard » mis au point par Wechsler.

MAIS, il y a une différence entre « servir à » et « ne servir qu’à ». 

Voilà à quoi ressemble la distribution des QI en Occident.

 

 

Nous voyons que l’ensemble de la population est prise en compte et non pas uniquement les personnes ayant un retard mentale.

Mais la plus grosse absurdité est dans l’implicite de l’affirmation. Réfléchissons un instant, comment le QI ne pourrait servir qu’à déceler un retard mental ? Ne faut il pas un point de comparaison pour déterminer si une personne a un retard mental ? 

Si le QI était incapable de mesurer les moyennes et hautes intelligence, comment pourrait-il déduire un retard mental chez certain ? Si une personne de deux mètres est considérée grande c’est uniquement car elle est comparée à la taille moyenne.

La distribution de l’intelligence en Occident suit la loi normale (26), représentée par une courbe en cloche, avec à gauche les retardés mentaux et les moins intelligents, au centre la moyenne autour de 100, et à droite les plus intelligents et les génies. 

Donc si le QI n’est valide que pour les moins intelligents, pourquoi n’est-il pas représenté par un tiers de cloche ? 

Sans oublier que certaines écoles sont dédiées au enfants précoces ou « haut potentiel » une fois identifiés par les test psychométriques Wechsler et WISC-III (27,28,29). 

Il existe cependant un inconvénient avec le WISC-III, c’est qu’il est peu adapté à des QI supérieurs à 130, on observe alors un effet plafond. Rappelez-vous ce que nous avons vu lors du premier point, l’importance de l’intelligence réside dans la complexité de l’épreuve (1,30), les questions sont donc trop simples (31,32).

Ces tests sont alors parfois remplacés par le MRI et les Matrices progressives de Raven, test hautement chargé en g (33).

 

Conclusion :

 

Les bases sur l’intelligence et le QI viennent d’être posées, et l’on se rend compte que c’est une mesure sérieuse et bien valide qui repose sur des analyses rigoureuses et surtout, nombreuses.

Pour le prochain article nous debunkerons deux des conneries les plus répandues, à savoir : que le QI n’a pas de lien ni avec la réussite scolaire, ni avec le métier exercé.

 

Sources :

  1. Gottfredson. Schools and the g factor. 2004.
  2. Spearman, Charles. (1904). General intelligence, objectively determined and measured. American Journal of Psychology.15,201–293.
  3. Thurstone, L. L. (1934). The vectors of mind. Psychological Review, 41(1), 1–32. https://doi.org/10.1037/h0075959.
  4. Herrnstein & Murray – The Bell Curve (1994).
  5. White, K.R. 1982 (cité in Brand 1996) The relation between socioeconomic status and academic achievement Psychological Bulletin 91, 3, 461-8.
  6. Herrnstein & Murray – The Bell Curve (1994).
  7. Lynn et Vanhanen 2002 : « IQ and the Wealth of Nation » – Praeger (USA) 2002. Données disponibles à : http://www.isteve.com/IQ_Table.htm
  8. Coetzer G.H. Emotional versus Cognitive Intelligence: Which is the better predictor of Efficacy for Working in Teams? J. Behav. Appl. Manag. 2016;16:116–133.
  9. Kanazawa S. General intelligence as a domain-specific adaptation. Psychol. Rev. 2004;111:512–523. doi: 10.1037/0033-295X.111.2.512.
  10. Busato V.V., Prins F.J., Elshout J.J., Hamaker C. Intellectual ability, learning style, personality, achievement motivation and academic success of psychology students in higher education. Personal. Individ. Differ. 2000;29:1057–1068.  doi: 10.1016/S0191-8869(99)00253-6.
  11. Sternberg R.J. The concept of intelligence and its role in lifelong learning and success. Am. Psychol. 1997;52:1030–1037. doi: 10.1037/0003-066X.52.10.1030.
  12. Strenze T. Intelligence and socioeconomic success: A meta-analytic review of longitudinal research. Intelligence. 2007;35:401–426. doi: 10.1016/j.intell.2006.09.004.
  13. Hunter J. E. & Hunter R.F. 1984 (cité in TBC pp 81 et 575) : Validity and utility of alternative predictors of job performance. Psychological Bull. 96:72-98.
  14. Rushton, J. P. (1997). Cranial size and IQ in Asian Americans from birth to age seven. Intelligence, 25, 7-20.
  15. Wiegmann et al. 1992 (Cite par Brand 1996 pp 154 et 207 ) WIEGMAN, O., KUTTSCHREUTER, M. & BAARDA, B. (1992). ‘A longitudinal study of the effects of television viewing on aggressive and prosocial behaviours.‘ British Journal of Social Psychology 31, 147-164.
  16. TBC pp 246-247 Hunter et Hunter 1984.
  17. Robert A. Gordon. Everyday Life as an Intelligence Test: Effects of Intelligence and Intelligence Context. Johns Hopkins University. 1997.
  18. Deary, I. J., Whiteman, M. C., Starr, J. M., Whalley, L. J., & Fox, H. C. (2004). The impact of childhood intelligence on later life: following up the Scottish mental surveys of 1932 and 1947. Journal of Personality and Social Psychology, 86(1), 130.
  19. Leta Stetter Hellingworth. The Psychology of Subnormal Children(1920).
  20. Grady M. Towers (1987). The Outsiders. Gift of Fire (The Prometheus Society’s Journal) Issue 22 (April). Re-issued in Issue 72 (March 1995).
  21. Robertson, K. F., Smeets, S., Lubinski, D., & Benbow, C. P. (2010). Beyond the threshold hypothesis: Even among the gifted and top math/science graduate students, cognitive abilities, vocational interests, and lifestyle preferences matter for career choice, performance, and persistence. Current Directions in Psychological Science, 19(6), 346–351.10.1177/0963721410391442.
  22. Green, K. E., & Kluever, R. C. (1991). Structural properties of Raven’s Coloured Progressive Matrices for a sample of gifted children. Perceptual and Motor Skills, 72, 59-64.
  23. Saccuzzo, D.P., & Johnson, N.E. (1995). Traditional psychometric tests and proportionate representation: An intervention and program evaluation study. Psychological Assessment, 7, 183-194.
  24. Margaret Harris et Georges Butterworth, Developmental psychology, a student handbook, Hove and New York, Psychogy Press, Taylor & Francis, 2002 (ISBN 9781841691923).
  25. .http://www.inshea.fr/fr/content/d%C3%A9finition-et-origine-du-retard-mental.
  26. http://www.evopsy.com/concepts/ln-qi-abandonner-courbe-gauss.html.
  27. http://www.douance.org/education/e477vf.html.
  28. Kaufman, A.S., & Kaufman, N.L. (1993). K-ABC : Batterie pour l’examen psychologique de l’enfant. Paris: Editions du Centre de Psychologie Appliquée.
  29. Vrignaud, P. (2002). L’identification des surdoués : chimère psychométrique ou réalité  psychologique ? Communication présentée aux 15èmes Journées de Psychologie  Différentielle, 10-13 septembre, Rouen.
  30. Linda S. Gottfredson. Dissecting practical intelligence theory : Its claims and evidence. School of Education, University of Delaware, Newark, DE 19716, USA Received 24.
  31. Jacques Lautrey et l’équipe « cognition et différenciation ». L’état de la recherche sur les enfants dits  « surdoués ». CNRS.
  32. Wechsler, D. (1996). WISC-III: Echelle d’intelligence de Wechsler pour enfants (troisième  édition). Paris: Editions du Centre de Psychologie Appliquée.
  33. Jacques Lautrey et l’équipe « cognition et différenciation ». L’état de la recherche sur les enfants dits  « surdoués ». CNRS.