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Une fraude scientifique pour rêver d’assimilation

En avril 2019, les médias [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] – Le Monde à 20 Minutes et de Libération à Valeurs actuelles, mais aussi dans la presse régionale et étrangère ainsi que de nombreux médias, radios, chaînes télévisées [10] [11] et sites internet d’information – ont largement repris une étude prétendant que « Nicolas » était le deuxième prénom le plus fréquent chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb.

Les décodeurs du Monde étaient malheureusement en vacances à ce moment-là.

 


Ces résultats paraissent très contre-intuitifs. D’un point de vue bayésien, on peut dire que leur crédence a priori est faible car presque personne n’a rencontré de maghrébin nommé Nicolas, un saint de la Reconquista.

Les affirmations extraordinaires nécessitent des preuves tout aussi extraordinaires.

Pour en avoir le cœur net, Jean-François Mignot [12], Chargé de recherche au CNRS s’est rapidement mis au travail et a découvert une fraude scientifique grossière motivée par des intérêts politiques.

Une étude qui met « Zemmour en PLS » ?

L’étude « Quels prénoms les immigrés donnent-ils à leurs enfants en France ? » de Coulmont et Simon [13] fut publiée par le bulletin d’information scientifique de l’Institut national d’études démographiques (INED).

Exploitant les données de l’enquête Trajectoires et origines (TeO) menée en France métropolitaine en 2008, l’étude met en avant deux résultats spectaculaires :

• Les prénoms les plus fréquents chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb sont « Yanis » et « Nicolas » ;

• 94 % des immigrés du Maghreb et 84 % de leurs enfants portent un prénom « arabo-musulman » mais par la magie de l’École républicaine et de Touche pas à mon pote, seuls 23 % des petits-enfants d’immigrés du Maghreb auraient des prénoms arabo-musulmans. Un ordre de grandeur assez proche des 16 % de petits-enfants d’immigrés d’Europe du Sud qui portent un prénom « latin ».

L’étude prétend ainsi démontrer la parfaite assimilation des populations originaires du Maghreb en France.

Mais une méthodologie secrète

Jean-François Mignot va rapidement contacter les auteurs [14] pour obtenir la méthodologie de l’étude. Mais il va faire face à une avalanche de refus durant 20 mois. Les auteurs, le rédacteur en chef de la revue, la directrice de l’INED Magda Tomasini et le référent à l’intégrité scientifique de l’INED Henri Leridon, personne ne veut lâcher le morceau.

Après près de deux ans de lutte, les auteurs ont finalement fourni quelques éléments. D’abord, une liste des prénoms maladroitement bidonnée en classant des prénoms grecs, latins, espagnols et portugais comme arabo-musulmans. Ensuite, un programme informatique incomplet censé avoir permis l’exploitation de la base de données TeO. Ce comportement, pire que ce qui a été constaté avec Didier Raoult et même du tristement célèbre Gilles-Éric Séralini, est intolérable dans le cadre de la recherche académique et viole explicitement la Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche.

Une tentative de reproduction instructive

Une fois que la base de données est en sa possession [15], les faits commencèrent à s’éclaircir :

  • Seuls 23 Yanis et 11 Nicolas apparaissent dans l’échantillon des auteurs, ce qui est très insuffisant pour faire un traitement statistique digne de ce nom.

  • Si on fait abstraction de ce faible effectif, Nicolas est bien l’un des prénoms les plus fréquents chez les petits-fils d’immigrés du Maghreb.

Pourtant, personne ne semble avoir entendu parler de Maghrébins prénommés « Nicolas ». Ni les experts des migrations, ni les recherches par entretien menées auprès des couples « mixtes », ni la presse écrite, ni la radio et la télévision françaises, ni les ouvrages publiés en français depuis 1970, ni les moteurs de recherche internet ou l’encyclopédie Wikipédia, ni l’annuaire téléphonique et les réseaux sociaux en 2021, ni même les décès en France ne comptent assez de « Nicolas » originaires du Maghreb.

Où est l’astuce ? Ces Nicolas sont tous simplement des petits-enfants de Pieds-noirs, des colons européens, venu de France mais aussi d’Espagne, de Grèce, de Chypre, d’Italie, du Portugal etc. Autrement dit, des Européens. Une fois les enfants de Pieds-noirs exclus, les résultats changent du tout au tout :

les petits-fils de Maghrébins ont comme prénoms les plus fréquents Nassim et Karim, PAS Nicolas.

Les vrais chiffres

49% des petits-enfants de Maghrébins portent des prénoms arabo-musulmans, en revanche cette conservation des prénoms typiques est bien plus faible chez les petits-enfants d’immigrés d’Europe du Sud (8 %),d’autre Europe (19 %), d’autre d’Afrique (9 %) ou d’Asie (5 %) (voir graphique ci-dessous).

La conservation des prénoms arabo-musulmans s’observe d’ailleurs chez d’autres populations d’origine musulmane en Europe, comme chez les descendants d’immigrés du Pakistan au Royaume-Uni et chez les descendants d’immigrés de Turquie en Allemagne.

Une réponse folle

Dans un document [16] de quelques pages, Baptiste Coulmont et Patrick Simon ont répondu aux critiques de Jean François Mignot. La lecture du document permet de constater qu’aucune réponse concrète n’est apportée au refus de communiquer les éléments nécessaires à la reproduction de leurs résultats. Ils se contentent de discuter de la validité de leur choix initial tout en reconnaissant, ce qui est assez extravagant, que «Jean-François Mignot découpe un sous-ensemble (certes représentant 83% des descendants) sélectionné sur des critères culturels qui sont évidemment fortement liés au choix des prénoms : il n’est pas étonnant qu’il enregistre nettement plus de prénoms arabo-musulmans avec l’exclusion de la fraction la plus éloignée des origines maghrébines du groupe».

Jean François Mignot a répondu [17] en détail aux arguments qui lui sont opposés. Toutefois, comme le reconnaissent les auteurs de cette fraude, « il n’est pas étonnant » de retrouver des prénoms arabo-musulmans lorsque le groupe étudié est composé de personnes d’origine… maghrébines ou musulmane. Le but de l’étude [18], n’était-il pas de nous expliquer que ces mêmes populations maghrébines s’assimilent comme n’importe quelle autre population ?

Une étude frauduleuse, couverte par l’INED [19], qui ne mérite que la rétractation

Les conclusions de l’étude sont fausses, la méthodologie frauduleuse, les auteurs le savaient pertinemment, d’où leurs tentatives d’empêcher le travail critique de Jean-François Mignot.

Patrick Simon et l’INED ne sont pas à leur coup d’essai. Ils pratiquent les manipulations statistiques destinées à « démontrer » que, contrairement aux réalités du terrain, les immigrés du Maghreb et leurs descendants s’intègrent pleinement dans la société française et que tous les problèmes viennent d’un racisme omniprésent.

Patrick Simon, directeur de département à l’Institut Convergences Migrations, chercheur associé à Sciences Po Paris et Expert pour le Conseil de l’Europe (ECRI) et Eurostat, est avant tout un adepte de la cause décoloniale [20]. Il défend la théorie complotiste du « racisme systémique » pour expliquer la trajectoire sociale (réussite ou échec) des Africains et Arabo-Musulmans dans les pays occidentaux.

Tout indique que l’objectif de Patrick Simon est d’influer favorablement sur les attitudes du grand public à l’égard des immigrés et de l’immigration. Quitte à mentir de manière grossière et éhontée.

Et nos collègues Zététiciens? Aux abonnés absents!

Ces fraudes bénéficient d’une complaisance quasi-totale du milieu de la recherche en sciences sociale. Quant au milieu zététique, excepté le Cercle Cobalt [21], les zététiciens – et notamment Thomas Durand de La Tronche en Biais bénéficiant d’une large couverture médiatique pour ne citer que lui – ont décliné le sujet.

Jean François Mignot m’explique en détail comment l’arnaque a été montée.

Comment expliquer que des zététiciens refusent de traiter cette fraude scientifique ? Ils sont sans doute trop occupés par la dénonciation des tunnels de vente quantique et autres médecines douces. Il est vrai que leur public pourrait être bousculé dans ses idées s’il apprenait qu’une bonne partie de la sociologie (et de la théorie du genre qu’ils affectionnent tant [22]) repose sur de la fraude grossière [23].

 

 

Jean-François Mignot est obligé de faire appel à toute l’aide possible pour dénoncer cette fraude et que les recherches puissent être menées à bien. Il est important de comprendre que Jean-François Mignot – n’ayant pas obtenu le programme informatique utilisé par les deux fraudeurs – n’a pas la possibilité de soumettre ses travaux à une revue scientifique. En effet, pour pouvoir proposer un article analysant la validité d’un résultat, il est nécessaire d’avoir en sa possession TOUTES les données et outils qui ont été utilisés. Tant que Jean-François Mignot n’a pas accès au programme informatique utilisé par Baptiste Coulmont et Patrick Simon, il ne peut faire reconnaître cette fraude par la communauté scientifique.

Il est fort probable que l’un explique l’autre.


Références
1 | https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/10/yanis-sarah-ou-ines-quand-l-integration-se-lit-dans-les-prenoms-des-petits-enfants-d-immigres_5448028_3224.html
2 | https://www.huffingtonpost.fr/entry/afrique-du-nord-ou-europe-du-sud-comment-les-immigres-en-france-nomment-leurs-enfants_fr_5cab03b1e4b0a00f6d41f4fa
3 | https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/les-prenoms-d-enfants-d-immigres-changent-au-fil-des-generations_3273927.html
4 | https://www.femmeactuelle.fr/enfant/news-enfant/quels-prenoms-les-personnes-issues-de-limmigration-donnent-elles-le-plus-a-leur-enfant-en-france-2077123
5 | https://www.journaldesfemmes.fr/maman/bebe/2515643-quels-prenoms-les-enfants-d-immigres-portent-ils/
6 | https://www.ledauphine.com/france-monde/2019/04/10/quels-prenoms-sont-donnes-aux-enfants-d-immigres-4-infos-a-retenir
7 | https://www.nouvelobs.com/societe/20190410.OBS11357/au-bout-de-deux-generations-les-immigres-abandonnent-les-prenoms-de-leurs-pays-d-origine.html
8 | https://www.leparisien.fr/societe/que-revelent-les-prenoms-des-enfants-d-immigres-en-france-10-04-2019-8050008.php
9 | https://www.marianne.net/societe/karim-ou-nicolas-comment-sappellent-vraiment-les-petits-enfants-dimmigres-maghrebins
10 | https://www.youtube.com/watch?v=P1hClTpX64M
11 | https://www.dailymotion.com/video/x75ksfr
12 | https://www.gemass.fr/member/mignot-jean-francois/
13 | Coulmont, B., & Simon, P. (2019). Quels prénoms les immigrés donnent-ils à leurs enfants en France?. Population Societes, (4), 1-4.
14 | https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-03316741/document
15 | https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-03316741/document
16 | https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03330923v2/document
17 | https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03358803/document
18 | https://coulmont.com/blog/2019/04/10/pop-soc-prenoms-blog/
19 | https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/31976/communique.sur.l.etude.des.prenoms.parue.en.2019.dans.le.n.565.de.population.et.societes_vf.fr.pdf
20 | Un résumé des liens entre Patrick Simon et les Indigènes de la République :
Patrick Simon est, depuis plusieurs années, un compagnon de route du Parti des indigènes de la République (PIR) et d’autres associations de la nébuleuse dite de « l’antiracisme politique », comme en témoignent son entretien dans la revue Mouvements avec Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des Indigènes de la République (PIR) (Simon 2015), sa participation au QG décolonial (24 mai 2017), son organisation pour la revue Mouvements d’une table ronde intitulée « L’antiracisme politique et la classe », ou encore sa participation à l’émission Paroles d’honneur (17 avril 2020), dont le « comité scientifique » comprend plusieurs fondateurs du PIR.
Si l’on se restreint à la période écoulée depuis la publication de l’article sur les prénoms (10 avril 2019), Patrick Simon a signé plusieurs textes qui permettent de le situer dans la mouvance idéologique décoloniale. Il a accordé au Monde un entretien intitulé « Pour lutter contre le racisme, il ne faut pas invisibiliser la question de la « race » » (11/06/2019), il a signé dans Libération la tribune « Burkini : entendre cette demande d’égalité » (22/07/2019), il a accordé à Mediapart un entretien intitulé « un discours sur l’immigration qui vise à « créer des antagonismes » » (17/09/2019), il a rédigé pour la revue « scientifique » de l’association Attac un article intitulé « L’antiracisme et la race : colorblindness et privilège blanc » (01/10/2019), il a signé dans Le Monde la tribune « Jusqu’où laisserons-nous passer la haine des musulmans ? » (15/10/2019), il a signé dans Libération la tribune « Lutte contre les discriminations raciales : mesurer pour avancer » (18/06/2020), et il a publié (avec Solène Brun) dans Contretemps. Revue de critique communiste un article intitulé « Covid-19 : les inégalités d’origine mises à nu, l’aveuglement républicain à la race mis à mal » (08/07/2020). Le 15 avril 2020 il participe à une émission diffusée en live sur FaceBook « Paroles d’Honneur – La Perm’ « Inégalités face à l’épidémie : Le Covid est-il raciste ? » Avec Norman Ajari (philosophe et membre du Parti des Indigènes de la République), Patrick Simon et Rokhaya Diallo.
21 | https://lemediapourtous.fr/polemique-des-prenoms-ou-sont-les-nicolas-maghrebins/
22 | https://cercle-cobalt.com/la-tronche-en-biais-et-schizophrenie-zetetique/
23 | https://cercle-cobalt.com/le-rendez-vous-du-cercle-cobalt-1-02-canular-sokal-au-carre/

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