Indéniablement, le BIO a le vent en poupe : ayant un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros en 2017 en France, ce secteur n’a plus rien d’une petite coopérative équitable, mais bien celui d’une industrie, le « biobusiness ». Depuis 1980, les pouvoirs publics français ont reconnu la formule « agriculture biologique » pour désigner cette forme d’agriculture « sans pesticides de synthèse, sans produits chimiques, ni OGM ».
D’après un sondage CSA, 73 % des personnes interrogées affirment consommer un aliment « bio » au moins une fois par mois (37 % en 2003), 34 % au moins une fois par semaine et 16 % tous les jours (CSA, 2018). Auparavant un achat de niche pour militants, le « bio » est devenu une consommation de masse.
Fort bien, chacun est libre d’acheter ce qu’il veut et de changer ses habitudes alimentaires mais réfléchissons à l’intérêt réel de cette agriculture.
Est-ce que le développement de l’agriculture biologique est fondé sur de meilleurs bienfaits que ceux obtenus par l’agriculture dite « conventionnelle » ? Question d’autant plus importante puisqu’il s’agit d’un type d’agriculture davantage subventionné.
C’est ce que nous allons voir maintenant.
Les produits « bio » réduiraient les risques de cancer
Cette « rumeur » vient essentiellement des médias vers fin octobre 2018 suite à la parution d’un article scientifique. « L’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer », raconte Le Monde le 22 Octobre 2018, on parle d’ailleurs d’un chiffre de 25%. Néanmoins il faut le reconnaître, le décodeur du journal Libération a eu un avis plus nuancé le 26 Octobre 2018.
D’ailleurs, la revue Organic Foods for Cancer Prevention (où l’article fut publié), ajouta de façon assez inhabituelle un commentaire concernant l’article « il présente plusieurs points forts, […] il comporte également des faiblesses importantes, qui nécessite une interprétation prudente des résultats ». On peut comprendre vu à quel point certains journalistes idéologues ou faisant peu cas de la rigueur scientifique peuvent s’aveugler sur un résultat en apparence « pro-bio » dès qu’il s’agit de pourfendre « l’agrochimie » ou « l’agro-business » capitaliste.
Une des auteurs de l’article, Emmanuelle Kesse-Guyot, directrice de recherche de l’INRA, va également dans le sens de la revue :
« Il faut adopter un discours très prudent sur les implications de l’étude malgré des résultats importants. Ce que nous avons démontré est issu de l’observation d’une association entre alimentation bio et diminution du risque de cancers, et non la démonstration d’un lien de cause à effet. Nous n’apportons pas de preuves, contrairement à ce qui a été rapporté par certains médias. »
Pour résumer l’enquête, les chercheurs ont suivi 68 946 personnes (78% de femmes, âge moyen 44 ans) de 2009 à 2016. Les participants sont répartis en quatre groupes en fonction de la fréquence avec laquelle ils consomment des produits bio. Les chercheurs ont ensuite analysé comment se répartissent les 1340 cas de cancer dans les quatre groupes (Q1 représente ceux qui mangent peu de bio et Q4 ceux qui en mangent le plus). Il constate un risque aux cancers 25% plus faible pour Q4 par rapport à Q1.
En dehors du fait que ce n’est qu’une étude donc « d’observation », elle comporte quelques lacunes :
1. Le recueil d’informations des participants a été basé sur le volontariat, avec une évaluation de la consommation bio peu fiable et sur une durée courte (5 ans en moyenne) pour ce type d’études. L’exposition aux pesticides n’a pas été mesurée, elle a simplement été présumée moins forte pour les plus gros consommateurs de bio (aucune évaluation de l’importance de cette réduction).
2. La création artificielle de 4 groupes (Q1 à Q4) ne s’est pas fait sans biais (même s’il y a eu des « corrections »). En analysant les données, on constate que le groupe Q1 cumule tous les comportements à risque (tabagisme, obésité, alimentation très carnée, alcool, etc..) alors que le groupe Q4 présente au contraire l’inverse (pratique sportive, plus de fruits et légumes, etc..).
Ce n’est pas forcément étonnant, il est connu que les personnes mangeant le plus de bio ont également une hygiène de vie générale plus saine. Seulement alors comment dissocier les influences du « manger bio » et les « comportements à risques » cumulés dans le groupe Q1 sur les risques de cancer ? C’est également l’avis de plusieurs épidémiologistes.
Au vu de la fragilité des résultats de l’étude, il n’est pas possible pour le moment d’établir un lien de cause à effet entre « manger bio » et « moins de risques de cancer » par rapport à l’agriculture conventionnelle.
L’agriculture biologique n’utilise pas de pesticides de synthèse mais est-ce mieux ?
Comme nous l’avons vu dans un précédent article, la distinction naturel/synthétique n’a aucune valeur scientifique, un pesticide naturel ou pas reste un pesticide. Et le moins que l’on puisse dire c’est que les produits « naturels » utilisés dans l’agriculture biologique ne sont pas sans risques…
La bouillie bordelaise : Créée historiquement pour lutter contre le mildiou dans les vignes bordelaises, elle est un mélange de dérivés minéraux et organiques à base de cuivre. D’ailleurs elle n’a rien de spécifiquement « naturel » vu que le sulfate de cuivre présent dans la bouillie est synthétisé par décapage chimique à l’acide sulfurique.
Certes, ce genre de préparation est bon marché (ce qui explique son succès), mais génère tout un tas d’effets pervers :
1. Le cuivre s’accumule dans le sol acide et porte atteinte à la biodiversité microbienne et à la biomasse. Arrivé à une certaine concentration, l’effet négatif est irréversible.
2. Des études expérimentales ont montré une certaine bio-accumulation dans l’estomac, les reins et le foie. De plus, une exposition respiratoire à la bouillie bordelaise peut provoquer des altérations pulmonaires (appelé syndrome Vineyard Sprayers’ Lung).
La roténone : Interdite totalement dans l’UE depuis 2011 (heureusement), elle est une molécule extraite de plantes tropicales et a été longtemps utilisée dans l’agriculture biologique. Son action destructrice sur les neurones (neurotoxique) a été mise en évidence dès 2000 et confirmée plus tard par d’autres études. Une étude épistémologique en 2011 avait établi un risque de développer la maladie de Parkinson multiplié par 2,5 par rapport au groupe témoin sans roténone.
L’huile de neem : Ce produit est utilisé de manière ancestrale en Inde comme pesticides et… comme contraceptif masculin. En effet, son composant majeur, l’azadirachtine, extraite du margousier est connu pour être un perturbateur endocrinien.
Elle est inscrite sur la liste positive des substances autorisées dans l’UE depuis 2011 suite à un intense lobbying (il fallait bien trouver un produit de substitution « bio » suite à l’interdiction de la roténone…). En France, l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) ne fut pas accordée, sans doute que les fonctionnaires ne voulaient pas endosser la responsabilité d’autoriser un produit qui pourrait avoir un impact négatif sur le milieu aquatique, la fertilité masculine et pouvant créer des atrophies chez les jeunes abeilles…
Mais suite à la demande pressante des acteurs de l’agriculture biologique, une autorisation dérogatoire et provisoire sur un produit à base d’azadirachtine fut accordée pour le traitement des pommiers en 2014. Seulement quelques mois plus tard, une étude confirma la nocivité de cette substance sur des bourdons et ce, même à des concentrations très inférieures à celles utilisées dans les champs.
Un avis de l’ANSES de novembre 2014 conclut en ces termes suivants : « les évaluations des risques relatives aux utilisateurs et aux consommateurs liées à la présence d’azadirachtine ne peuvent être finalisées. En conséquence, il convient que le détenteur des produits préconise des mesures de protections collectives et individuelles visant à limiter les expositions des opérateurs dans le cadre de la manipulation et de l’application des tourteaux de neem. Par ailleurs, afin que l’exposition des consommateurs soit négligeable, il convient d’exclure les épandages sur les sols destinés aux cultures légumières, maraîchères, prairie pâturée et sur toutes les cultures annuelles destinées à l’alimentation. »
En résumé, le consommateur ne peut guère être rassuré sur les effets des résidus d’azadirachtine sur les produits. Pour les phases d’épandage, l’agriculteur doit se protéger avec l’équivalent d’une « combinaison de cosmonaute » (combinaison de travail avec capuche de catégorie III type 4 et de gants en nitrile à usage unique). De plus, des vêtements de sécurité normés sont strictement indiqués pour les phases de nettoyage du matériel de pulvérisation ainsi que la confection du mélange.
L’agriculture biologique n’utilise pas d’OGM, en êtes-vous sûrs ?
Un petit problème, car il se trouve que le blé le plus utilisé dans l’agriculture biologique, la variété Renan, a été fabriquée par des techniques qui relèvent du génie génétique.
Le blé Renan est une variété de blé tendre qui présente des résistances à différentes maladies ou agresseurs, notamment à plusieurs rouilles, aux nématodes, au piétin verse et à l’oïdium. Ces résistances viennent d’une graminée sauvage qui ne ressemble pas du tout au blé (elle ressemble plutôt à une graminée de nos pelouses). On peut résumer succinctement les différentes croisements de la façon suivante :
On peut dire qu’il s’agit d’une méthode de transgénèse avant la lettre, avec des procédés certes beaucoup moins sophistiqués que la transgénèse actuelle (ce qui explique que la « transgénèse » ait pris 15 années de recherche au lieu de quelques-unes avec les méthodes d’aujourd’hui).
De plus, la variété Renan, créée en 1990, et maintenant ses descendants (Hendrix et Skerzzo) sont les variétés de blé les plus demandées par l’agriculture biologique alors que celle-ci refuse les plantes transgéniques… Pourtant, ces variétés sont beaucoup plus modifiées que les plantes transgéniques.
L’agriculture bio n’a pourtant exigé aucune évaluation de leurs risques pour la santé. Il faut dire que les OGM n’étaient pas encore très développés lorsque Renan a vu le jour. L’agriculture biologique a donc ignoré « l’histoire génétique » du blé Renan…. qui présente bien des avantages pour ce type d’agriculture. Que l’on se rassure, comme pour les autres OGM, il n’y a aucun risque pour la santé.
Pour conclure, nous rappelons que les objectifs de l’agriculture biologique ne sont pas faux et toutes ses méthodes ne le sont pas non plus : cultures associées, rotation des cultures, utilisation d’organismes utiles, etc. ; l’agriculture biologique les a mises à l’ordre du jour. Ces méthodes sont aussi utilisées par les agriculteurs qui ne veulent pas abandonner complètement les pesticides de synthèse, les engrais minéraux et les variétés à haut rendement.
Le problème est la motivation idéologique au sein de l’agriculture biologique qui impose des moyens indépendamment des résultats obtenus : dans les faits, l’agriculture « bio » nécessite plus de terres pour le même niveau de production, ce qui entraîne davantage de déforestations.
Leur refus dogmatique des pesticides dits « de synthèse » et leur opposition pathologique aux OGM s’enracine dans une « pensée » ésotérique réactionnaire et anticapitaliste de l’agriculture bio dynamique du début du XXème siècle.
Pourtant, s’ils étaient cohérents, ils devraient au contraire promouvoir les nouvelles techniques de génie génétique (mutagénèse classique, transgénèse, forçage génétique, édition génomique) de plus en plus précise afin de pouvoir créer de nouvelles variétés à haut rendement qui ne nécessiteraient plus d’intrants de « l’agrochimie » (pesticides). Les OGM pourraient même rendre rentable économiquement d’autres modes de productions (agroforesterie, etc..) qu’ils estiment plus respectueuses de l’environnement.
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