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Le modèle standard des sciences sociales

Le modèle standard des sciences sociales

Le concept de M3S fut introduit en 1992 par John Tooby et sa femme Leda Cosmides, respectivement anthropologue et psychologue, dans l’ouvrage The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and the Generation of Culture. Après avoir rappelé que les sciences ont progressé en bousculant les anciens dualismes (ciel/terre, vivant/inerte, corps/esprit) et en assurant la cohérence des savoirs entre les disciplines, les deux auteurs accusent les sciences sociales de ne pas avoir réalisées cette révolution copernicienne.

Constatant les faibles résultats de ces disciplines, ils l’expliquent par la volonté des sociologues, anthropologues et autres psychologues de passer outre la pertinence mutuelle qui relie les sciences productives et de s’isoler dans une autarcie intellectuelle stérile. Tooby et Cosmides définissent ainsi le M3S comme une vision consensuelle de la nature des phénomènes sociaux et culturels qui sert depuis un siècle de cadre intellectuel pour l’organisation des sciences sociales et psychologiques et la justification intellectuelle de leur prétention à l’autonomie vis-à-vis des autres disciplines de la science.

Le raisonnement fondamental du M3S

Tooby et Cosmides décrivent le raisonnement qui soutient le M3S en le décomposant en plusieurs étapes, citant abondamment les auteurs de référence des sciences sociales, notamment Durkheim et Geertz.

Première étape :

Les enfants naissent avec le même potentiel de développement cognitif. Ils n’ont pas de structures différentes à la naissance qui pourraient diriger le développement de l’esprit humain. C’est la seule affirmation juste du M3S d’après Tooby. La génétique ne peut expliquer (à elle seule) l’immense variation des comportements des groupes ethnoculturels humains.

Deuxième étape :

Une constante, l’esprit universel des humains, ne peut expliquer les variations. Si l’esprit des enfants est le même à la naissance, mais que les adultes diffèrent, cela provient forcément de facteurs extérieurs à l’esprit humain.

Troisième étape :

Les adultes vivent dans des organisations complexes et communiquent, contrairement aux enfants qui reçoivent ces savoirs et ces structures de l’extérieur.

Quatrième étape :

Si des enfants étaient élevés sans environnement social, ils ne pourraient se développer de structure sociale ou de langages normaux. Le monde social est donc la cause de l’organisation sociale des adultes.

Cinquième étape :

Les individus sont modelés par l’environnement, l’esprit humain adulte est un pur produit de l’environnement. Si l’individu est une construction sociale, alors l’environnement social n’est pas une création de l’individu. L’individu est dans un rapport asymétrique avec le monde social qui l’a produit et l’encadre.

Sixième étape :

Pour comprendre la nature humaine seule l’étude de la culture (=tout ce qui est extragénétique et extrasomatique) est pertinente. Les sciences sociales n’ont pas besoin de se relier aux sciences naturelles.

L’origine des comportements humains complexes selon le M3S

Ces six étapes soulèvent une question majeure : qu’est-ce qui génère les complexes et opérationnelles organisations des affaires humaines ? Le M3S propose une théorie en quatre étapes supplémentaires :

Septième étape :

Les défenseurs du M3S sont unanimes dans leur refus d’une cause interne : elle n’est pas dans l’individu, ni dans la nature humaine, ni dans sa psychologie évolutive. « Quand les individus furent éliminés, la société seule perdurait » Emile Durkheim, 1895/1962 p.102

Huitième étape :

Le niveau d’apparition de toute organisation socio-culturelle est uniquement socio-culturel. Le processus est une émergence autonome, indépendante des volontés individuelles. Quand bien – même des comportements individuels donneraient l’illusion d’intervenir, les sociologues rappellent que ces comportements sont eux-mêmes des constructions sociales. D’après Durkheim, la jalousie amoureuse ou l’amour paternel sont des constructions sociales qui s’expliquent par l’organisation du groupe dans lequel vivent les individus qui les ressentent. Quant à Geertz, il juge même le système nerveux comme un produit socio-culturel.

Neuvième étape :

Les partisans du M3S nient que la nature humaine – l’architecture de l’esprit humain issue de l’évolution – puisse jouer un rôle notable dans la formation des organisations, ils admettent tout juste que le cerveau humain est nécessaire pour assurer la « capacité de culture ». Pour Geertz, l’esprit humain serait un ensemble de processus cognitifs sans contenu, comme un ordinateur au disque dur vierge, que l’on pourrait programmer sans limite pour l’adapter à n’importe quelle tâche. Toute tentative d’associer un comportement à la nature humain serait par définition une projection ethnocentrique. Explorer et caractériser la nature humaine serait suspect, car cela ne peut être motivé que par des objectifs idéologiques, pour définir une manière de vivre qui serait meilleure car plus conforme à la nature humaine.

Dixième étape :

Le rôle de la psychologie est d’étudier les processus de socialisation et de décrire les mécanismes de la capacité de culture. Le concept central est l’apprentissage. Tout composant issu de l’évolution est forcément équipotentiel, sans contenu, indépendant du contenu, généraliste etc. de manière à s’adapter à n’importe quelle culture sans l’influencer en retour. L’éducation est un processus conforme à l’esprit seau décrit par Karl Popper dans La connaissance objective. Les données nécessaires pour formater l’individu, pour l’adapter aux organisations sociales complexes préexistantes où il devra évoluer, sont introduites dans son cerveau comme l’on remplit un seau d’eau.

Ce point de vue exclut la psychologie comme déterminant les affaires humaines. Toutefois, la psychologie peut prétendre décrire des lois générales supérieures à celles issues des sciences naturelles pour expliquer l’apprentissage et les fonctions cognitives. D’après les avocats du M3S, l’évolution a forcément supprimé les mécanismes déterministes en éliminant les individus inadaptés à cause de leur rigidité comportementale. D’après le M3S, les humains naîtraient avec un équipotentiel cognitif, ils n’auraient pas dans le cerveau des systèmes modulaires ou spécifiques à des domaines. L’existence de différentiel de performances et préférences ne seraient que le résultat de l’influence de l’environnement social et culturel.

Tooby et Cosmides proposent de sortir les SS de l’ornière en les reconnectant aux autres sciences, ce qui implique d’accepter de nouveaux paradigmes comme les apports de la psychologie évolutionniste.

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