« Un mensonge répété dix mille fois devient vérité » Joseph Goebbels (1897-1945)
« Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose » Voltaire (1694-1778)
L’Histoire a montré qu’une « vérité » peut infuser chez les gens par des mensonges inlassablement répétés. Je dressais en début de mon premier article un petit pastiche des clichés sur le récit des OGMs que le citoyen lambda avait probablement en tête. Je vais m’atteler ici à vous expliquer ce qui relève du vrai et du faux parmi trois assertions qu’on entend le plus souvent (corrélées entre elles d’ailleurs) et qui permettent de dresser un récit artificiellement inquiétant sur ce type de produits.
La question des brevets sur les OGMs au nom du « brevetage du Vivant »
Argument anti-OGM classique qui permettrait selon ses propagateurs de « privatiser » indûment le Vivant et ainsi d’assurer aux gros cartels biotechnologiques l’entière domination de tout ce qui vit sur Terre jusqu’à la moindre graine de blé que nous consommons. Au nom de ce récit fantasmé, il faudrait rejeter cela et éviter le « brevetage du Vivant ».
Comme expliqué dans cet excellent article didactique, nous ne sommes pas venus à créer des brevets juste pour le plaisir jouissif de possession de Monsanto. Les brevets ne sont pas consubstantiels aux OGMs, ils concernent en réalité n’importe quelle innovation technique, quel que soit le secteur.
Dans le cas des semences agricoles, elles sont protégées sous la forme de Certificats d’Obtention Végétales (COV). Ces dernières concernent toutes les variétés de plantes (« Bio », OGM, etc..). Cette protection est régie par l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV), créée en 1961 (soit une bonne trentaine d’années AVANT l’arrivée sur le marché des premiers OGMs alimentaires). Les Etats-Unis, souvent en avance, avaient déjà créé leur propre moyen de protection avec Le Plant Patent Act de 1930.
De fait, beaucoup de variétés végétales sont protégées sans être issues de l’ingénierie génétique. Nombre de ces protections couvrent des variétés obtenues par hybridation, mutagenèse, sélection, et sont utilisées en agriculture biologique. Bizarrement, cela ne semble pas poser de problème aux anti-OGMs que l’on « brevète » les plantes « BIO »…
On peut à la rigueur critiquer à juste titre le système des brevets de manière générale (comme tout système humain perfectible) mais il faut alors que ce soit cohérent. Ici, cela n’a aucun sens.
D’ailleurs pourquoi les sociétés humaines se sont mises à développer des brevets pour les semences agricoles ? Quel en est l’intérêt réel ? La réponse est des plus prosaïque : la R&D y est extrêmement coûteuse et chronophage (et cela ne concerne pas seulement ce secteur particulier).
Le développement d’un OGM avec un nouveau caractère coûte plus de 100 millions d’euros et dix ans de recherche assidue. On peut donc comprendre aisément, même en étant anti-brevet, qu’une telle dépense de temps, d’hommes, d’énergie justifie un minimum de garantie de retour sur investissement de l’entreprise sans que le premier margoulin venu copie l’invention fuitée sans avoir participé à toute cette débauche de travail.
De cette manière on incite le capitalisme privé à participer à l’innovation, pour le plus grand bonheur des agriculteurs qui peuvent alors avoir de nouvelles semences de meilleure qualité. La protection des plantes concerne tous les types, même des roses ornementales.
Le brevetage des semences permet-elle à des Monsanto d’esclavagiser les agriculteurs en prenant possession des semences ?
Seulement après cette petite explication sur les brevets, c’est là que Jean anti-OGM peut sortir un argument massue : fort bien tu admets alors qu’on peut prendre possession de semences agricoles par l’intermédiaire des brevets. Progressivement, ces gros cartels peuvent alors réclamer des droits d’utilisation de leurs semences, forçant les pauvres agriculteurs à racheter tous les ans leurs semences, les rendant dépendant, à la merci de Bob Gros-Cigare. Voyons cela.
Tout d’abord, les brevets (et les COV) ont une durée de vie limitée, entre 20 (sur les plantes annuelles) et 30 ans (sur les plantes pérennes) de manière générale (sauf exception). C’est une manière de concilier le besoin de retour sur investissement de l’entreprise mais aussi d’éviter ce type de récit de Jean anti-OGM et de créer alors des rentes indues.
Passé ce délai, la semence tombe dans le domaine public et peut donc être librement utilisée et améliorée sans payer de royalties / licence d’exploitation au semencier inventeur ni devoir lui racheter des semences pour continuer de les exploiter.
Un bel exemple en la matière est le brevet sur le soja Roundup Ready de Monsanto, première semence OGM développée par cette entreprise il y a une vingtaine d’années. En 2011, son brevet a expiré et n’importe qui peut maintenant l’utiliser sans avoir de comptes à rendre à Monsanto. Ainsi n’importe quel semencier peut maintenant produire et croiser des plantes issues de l’ingénierie génétique, ce sont les premiers PGMs génériques. L’Université de l’Arkansas en propose d’ailleurs une version améliorée.
De plus, il existe également des semences qui sont open-source dès le départ, le fameux (et injustement décrié) riz doré en est un exemple, issu d’un projet humanitaire pour lutter contre la carence en vitamine A en Asie, facteur de mortalité infantile et de cécité.
Quant aux contraintes liées à une semence toujours protégée par un brevet, il faut relativiser ces contraintes. Celles-ci ne varient guère de celles qu’on a par exemple dans le secteur audiovisuel des DVDs. Vous vous souvenez des énièmes messages « attention, destiné à un usage uniquement personnel et privé etc… » ? Et bien c’est la même chose avec les semences.
On n’ira pas embêter les agriculteurs parce qu’il a replanté quelques pieds de courgettes OGMs sous licence dans son jardin personnel, c’est évidemment autre chose s’il décide d’en faire un business de vente ou qu’il voudrait en semer pour 20 hectares sans en avertir l’entreprise…
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec le cas Percy Schmeiser, cet agriculteur canadien (devenu un héros parmi les anti-OGMs) retourna la chose en accusant Monsanto de « contamination génétique » par du colza OGM qui serait arrivé « par hasard » dans son champ. Cela permit d’alimenter l’idée totalement fausse qu’il suffit qu’une plante de maïs soit « contaminée génétiquement » par les OGMs Monsanto pour qu’il puisse réclamer des royalties à l’agriculteur sur sa parcelle.
Percy « gentil David » contre « méchant Goliath » Monsanto, le beau récit manichéen était tout trouvé. Sauf que la justice canadienne a établi qu’il y a eu des actes délibérés de l’agriculteur pour s’approprier des semences canola (colza de printemps) contenant le gène de résistance au glyphosate appartenant à Monsanto. Il les a ensuite semés dans ses champs sans s’acquitter des ‘royalties’, ce qui explique pourquoi Monsanto a agi.
Une autre assertion qui ressort souvent sur le même sujet c’est l’idée qu’il serait interdit à l’agriculteur de ressemer une partie de ses récoltes à cause des brevets protégeant certaines semences. Ceci est un mythe. La législation européenne sur les brevets concernant les inventions biotechnologiques (donc les semences) permet à l’agriculteur de produire des semences de ferme à son usage (article 14 de ce règlement datant de 1994) :
« Nonobstant l’article 13 paragraphe 2, et afin de sauvegarder la production agricole, les agriculteurs sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autre qu’une variété hybride ou synthétique. »
Ce règlement a été transposé en Droit français avec la loi du 29 novembre 2004 (Art. L. 613-5-1) (17) :
« Par dérogation aux dispositions des articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3, la vente ou tout autre acte de commercialisation de matériel de reproduction végétal par le titulaire du brevet, ou avec son consentement, à un agriculteur à des fins d’exploitation agricole implique pour celui-ci l’autorisation d’utiliser le produit de sa récolte pour la reproduction ou la multiplication par lui-même sur sa propre exploitation. (…) Les conditions de cette utilisation sont celles qui sont prévues par l’article 14 du règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994 (ndlr : celui que je cite au-dessus), instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. »
Les anti-OGMs vous diront aussi que globalement les agriculteurs rachètent régulièrement les semences de Monsanto ou d’un autre gros semencier d’une année sur l’autre, ce qui serait un signe de dépendance contrainte. Cela vient d’une réelle incompréhension de la génétique végétale ainsi que d’une sous estimation des charges fixes qui écrasent les agriculteurs.
Il y a trois cas de renouvellement de semences :
- Dans le cas de semences hybrides, cela obéit à la loi de la super dominance où il est intéressant d’en ressemer pour avoir les deux caractères de qualité lié à son caractère hétérozygote (pour en savoir plus sur l’utilité des hybrides il y a cet ouvrage).
- Dans le cas des plantes autogames (typiquement les céréales à paille, le soja et le colza)
plusieurs cas de figure cohabitent. Généralement les céréaliers ressèment une partie de leurs
récoltes, ce sont les semences de ferme. L’agriculteur peut se contenter d’une semence libre de droit (ancienne ou abandonné par l’obtenteur). Dans ce cas il ne doit rien à personne. S’il choisit une variété sous COV il devra payer une cotisation au prorata de sa production. En France, pour les céréales, elle est fixée à 70 centimes par tonne (une tonne de blé se vend environ 200 euros, la contribution est très raisonnable). Enfin le producteur peut décider d’acheter des semences dites certifiées, aux caractéristiques (taux de germination, pureté variétale) garantie par le semencier. Ce renouvellement (partiel ou total) permet de corriger la dérive génétique et/ou profiter d’une nouvelle variété. - Dans le cas des OGMs, si la licence n’est pas expirée, l’agriculteur doit s’acquitter de royalties au détenteur du brevet. Si un semencier veut utiliser un caractère OGM d’une autre entreprise il peut le faire s’il a l’accord du détenteur du trait. Une fois la licence d’un caractère OGM expirée n’importe qui peut l’utiliser, que ce soit un agriculture ou un autre semencier.
Dans les faits les agriculteurs ne sont nullement «soumis» au semencier OGM, c’est l’exploitant qui décide en fonction de ses besoins et contraintes.
Les OGMs peuvent devenir stériles grâce au gène « Terminator »
Là on est peut être dans l’assertion la plus porteuse de fantasmes conspirationnistes où les cartels biotechnologiques possèderaient dans leur besace l’arme ultime de soumission. En incluant ce gène « Terminator » pour rendre stériles les semences OGMs, ils s’octroieraient des rentes à vie et pourraient faire du chantage sur la faim.
D’ailleurs d’où vient ce terme clinquant « Terminator » ? Certainement pas des scientifiques, mais de l’ONG canadienne ETC (groupe écologiste faisant campagne contre les nouvelles technologies comme les OGMs, la géo-ingéniérie, la biologie synthétique, etc..) qui a trouvé un bon moyen de communication pour faire parler d’elle.
Je vais plutôt utiliser les vrais termes de cette technologie : « GURTs » pour Genetic Use Restriction Technologies. Vous avez bien vu qu’il y a un pluriel, il n’y a donc pas « un » gène ou « une » manière de faire contrairement à ce que laisse supposer le « gène Terminator » .
Cette technologie, GURTs donc, a explicitement été développée à l’origine pour protéger le retour sur investissement lors de la création de variétés de PGM. Elle est aussi probablement l’une des plus controversées.
Comme les autres OGMs, cette technologie a été développée au tout début des années 90, la première demande de brevet en ce sens ayant été déposée par Dupont en 1991, puis délivré en 1994. En 1992, Zeneca (puis Syngenta, récemment racheté par ChemChina) , remplit également une demande pour une technologie similaire, publiée par la World Intellectual Property Organization en février 1994.
Le grand tournant pour cette technologie a été l’emploi du chercheur britannique Melvin Oliver par le département américain de l’agriculture (USDA, équivalent d’un ministère en France) en 1990 pour le développement en collaboration avec la firme Delta & Pine Land (DPL) d’une technologie de protection des semences au moyen de cultivars dont les semences seraient sensibles à des stimuli au moment de leur semi directement dans le champ de l’agriculteur et qui les rendraient stériles. Ce concept n’a jamais dépassé le stade de la paillasse de laboratoire.
Il existe deux types de GURTs :
- Les Varietal-GURTs (V-GURTs) : semences qui ne requièrent pas d’activation, c’est-à-dire que la première génération se développe normalement mais la seconde (F2) est stérile. Il y en a différents types, certaines sont élaborées pour empêcher les flux de gènes avec les variétés (non OGMs) aux alentours. Comme quoi elles peuvent même potentiellement servir à soulager les peurs irrationnelles de ceux qui craignent des « pollutions génétiques » des cultures OGMs sur les variétés sauvages, ce qui est plutôt cocasse…
- Les Traits-GURTs (T-GURTs) : elles octroient un caractère avantageux à la semence, comme la résistance à un herbicide. L’activation de cette propriété est contrôlée par un stimulus, comme l’exposition à une certaine température. De cette manière, le semencier peut fournir des semences « activées » à l’agriculteur, dont la seconde génération sera viable mais produira des semences dont le caractère avantageux n’aura pas été « activé ». Ce sont en quelque sorte les V-GURTs nouvelle génération (celles ci ne sont PAS stériles).
De nombreuses objections ont été émises à l’encontre de l’application de ces technologies, essentiellement à cause de leur mécanisme non éthique à l’endroit des fermiers pauvres dans le monde (qui là ne peuvent pas financièrement assumer l’achat de semences tous les ans).
Effectivement, la conservation des semis concerne quelque 15 à 20% de la production alimentaire mondiale et est pratiquée par 100 millions de fermiers en Amérique Latine, 300 millions en Afrique, et 1 milliard en Asie. De fait, en 1999, Zeneca et Monsanto annoncent renoncer à l’utilisation de cette technologie.
En 2000, DPL annonçait son intention de continuer la recherche sur cette technologie, et en 2005 Monsanto ouvrit la possibilité de l’utiliser pour des cultures non alimentaires. En somme, même les gros cartels biotechnologies « assoiffés d’argent » n’ont jusqu’ici jamais commercialisé de semences « Terminator » liés à l’alimentaire.
En 1999, le 4e congrès du Subsidiary Body on Scientific, Technical and Technological Advice of the UN Convention on Biological Diversity (CBD) déclara (15) :
« en l’absence actuelle de données fiables sur les technologies GURT (…) et en accord avec le principe de précaution, les produits impliquant ces technologies ne devraient pas être approuvés par les Partis pour les tests en plein air avant que des données scientifiques appropriées ne puissent les justifier ainsi que leur usage commercial avant que des évaluations scientifiques strictement contrôlées et autorisées au regard, entre autres, de leurs impacts écologiques et socio-économiques et de tout effet dommageable à la biodiversité, à la sécurité alimentaire et à la santé humaine, n’aient été menées de manière transparente et que leur sécurité et leur bénéfice ne soient validés. »
Conclusion
Science et division du travail sont les clés du progrès agricole, bien loin des délires complotistes marxistes sur les pauvres agriculteurs « sommés » de vendre leur âme pour les ignobles gros semenciers à gros-cigare.
D’ailleurs cette rhétorique “de la prise à la gorge des paysans” s’appliquerait bien plus pertinemment à d’autres fournitures coûteuses. Par exemple les machines agricoles, les engrais dont les prix sont indexés sur ceux du pétrole et surtout à l’invraisemblable inflation de contraintes légales. ces dernières sont alimentés par les écologistes et les néo-ruraux, elle brise les reins de nos agriculteurs tout en épargnant la concurrence internationale qui se déverse librement sur le marché français.
On peut citer l’exemple des importations de cerises venant de Turquie, Chili ou Argentine où on utilise un pesticide interdit sur le sol français. Également, les bananes « bio » venant de l’Equateur qui autorise les épandages aériens de pesticides. Mais ce n’est pas l’incohérence qui semble étouffer le type de personnes propageant ce genre d’idées reçues. J’espère que cet article vous aura permis de vous éclairer sur ces trois idées fausses relayées abondamment chez tous les activistes anti-OGMs, qu’ils soient de droite comme de gauche.