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L’essai clinique sur l’Hydroxychloroquine du Professeur Didier Raoult




Face au SARS-CoV-2, la course pour la découverte d’un traitement efficace est ouverte. Les essais cliniques lancés sont légion, notamment en Chine, et certaines molécules font plus d’échos que d’autres : c’est le cas de la chloroquine.

Cette molécule – utilisée depuis longtemps contre le paludisme possède déjà une autorisation de mise sur le marché (AMM) – dont on connaît la toxicité et la posologie à utiliser chez les patients est aujourd’hui suggérée pour le traitement du COV19.

Une étude publiée dans Cell Research a montré son efficacité in vitro, confortant l’idée d’une perspective thérapeutique prometteuse. Il est néanmoins nécessaire de prouver cette efficacité via un essai clinique incluant des patients, traités ou non à la chloroquine. Les Chinois ont annoncé avoir des résultats prometteurs après avoir réalisé un essai clinique sur une cohorte de 100 patients, mais les résultats sont inaccessibles. Devant l’impossibilité de pouvoir vérifier ces dires, une autre étude était forcément nécessaire.

C’est donc ce qu’a fait le professeur Didier Raoult avec son équipe, le professeur Didier Raoult est un infectiologue ayant reçu des distinctions et compte à son actif de nombreuses publications et certaines dans des journaux prestigieux (Nature, Science). On a pu d’ailleurs le connaitre dans un passage de « C à Vous » où il présentait son livre « Tout savoir sur les vaccins » en 2018, Patrick Cohen journaliste sans formation scientifique ne cessait alors de couper la parole au professeur Raoult pour lui dire des idioties, pensant surement recevoir un « Anti-vax ».

L’équipe marseillaise a alors publié un « preprint » sur le site de l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection. Le manuscrit n’est donc pas passé devant un comité de lecture scientifique (peer review), la raison de ne pas attendre une validation après une relecture par leurs pairs scientifiques est donnée dans la discussion :

« Pour des raisons éthiques et parce que les premiers résultats sont tellement significatifs et évidents nous avons décidé de partager nos découvertes avec la communauté médicale, au vu de l’urgence et du besoin d’une molécule efficace contre le SARS-CoV-2 durant ce contexte de pandémie »

En quoi consiste cette étude ?

Il s’agit de 36 patients atteints du COVID19, 16 patients contrôlés (c’est-à-dire qui ont refusé le traitement), 14 patients traités à l’hydrochloroquine (dont le nom commercial est Plaquenil, c’est un dérivé de la chloroquine) et 6 patients traités à l’hydroxychloroquine et l’azithromycine (un antibiotique qui a montré une efficacité contre les virus dans certaines études).

Le principe est simple on surveille les patients durant 6 jours, un prélèvement de salive est effectué chaque jour et on réalise une RT-PCR :

Le virus possède de l’ARN, à partir de cet ARN on peut synthétiser de l’ADN grâce à une enzyme nommée la rétrotranscriptase, et on peut alors amplifier cet ADN seulement s’il s’agit d’un morceau d’ADN issu de l’ARN du virus ; en résumé, le test ne fonctionnera pas sans ARN du virus. Finalement,  ce test permet de dire s’il y a des particules virales dans votre salive.

Très rapidement dans l’étude, on nous annonce que 42 patients étaient en réalité inclus dans l’étude, 6 patients traités à la chloroquine ont été enlevés des effectifs pour les raisons suivantes :

– 3 d’entre eux ont été transférés en soins intensifs après le début de l’étude

– 1 patient est mort au 3ème jour de l’étude alors qu’il était PCR-négatif la veille (donc sans particule virale) ; dans sa vidéo du 16 mars 2020 présente sur le compte de l’IHU Méditerranée-Infection, le professeur Didier Raoult affirme « Tous les patients qui meurent avec le corona, meurent avec le virus donc le fait de ne plus avoir le virus, ça change le pronostic de fait, c’est ça les maladies infectieuses, si vous n’avez plus de microbe vous êtes sauvé » pourtant le patient est mort sans détection du virus.

– 1 patient a décidé d’arrêter le traitement à cause de nausées

– le dernier patient a décidé de quitter l’hôpital et était PCR-négatif à jour 1 de l’étude (à se demander s’il était malade).

Intéressons-nous aux résultats :

Environ 90% des patients témoins montrent encore de la charge virale alors que 100% des patients traités en double traitement ne présentent déjà plus de charge virale. Pourtant, lors de sa vidéo du 16 mars à propos de la même étude, le graphique suivant était présenté :

On peut alors se demander pourquoi la courbe du groupe traité à la fois à l’hydrochloroquine et à l’azithromycine n’est pas la même dans les deux cas alors qu’il s’agit pourtant des résultats de la même étude.

Mais les bizarreries ne s’arrêtent pas là, dans le tableau 3 de l’étude, les résultats sont alors regroupés :

En regardant le nombre de patients négatifs au test PCR au 6ème jour de l’étude, on voit chez les patients contrôlés : 2/16, chez les patients traités hydroxychloroquine seul 8/14 et en double traitement 6/6.

En comparaison avec le tableau récapitulatif de tous les éléments (Tableau 1 supplémentaire) :

On peut apercevoir plusieurs choses suspectes. En tout 8 patients présentent un jour un résultat négatif (NEG) au test PCR, puis positif (POS) le lendemain. Etant donné qu’il est très peu probable qu’après que l’on soit immunisé et guéri on puisse de nouveau être infecté en seulement 24h, on peut considérer à des faux négatifs. Ce qui remet en cause l’étude et les résultats puisque ces derniers reposent sur le fait qu’une grande portion des patients traités à l’hydroxychloroquine présentait un résultat négatif au test PCR.

De plus, parmi les 16 patients témoins, 5 d’entre eux sont sans résultats PCR au 6ème jour (ND) or, dans le tableau précédent ces individus sont classés comme positifs au test PCR.

De façon surprenante, dans le groupe des individus traités à la chloroquine, le patient n°29 est également sans résultat PCR (ND) mais est cette fois classé comme négatif dans le tableau précédent.

De toute évidence, ces patients qui n’ont pas de résultat de test sont rangés dans les cases qui arrangent l’équipe et favorisent une conclusion d’efficacité du produit.

Il s’agit ici du « preprint » mis en ligne le 17 mars sur le site de Méditerranée-Infection, le 20 mars un nouveau « preprint » est mis en ligne sur Medarchive qui semble en tout point identique à quelques détails près :

Ce même tableau a été modifié entre-temps, les patients sans résultats de PCR (ND) dans le groupe témoin ont été changés en résultats positifs. Ce sont pourtant les mêmes patients (même âge par exemple).

Depuis la sortie de ce manuscrit sur MedArchive, il est possible de le commenter via Pubpeer (une plateforme où l’on peut féliciter, poser des questions scientifiques ou soulever des points problématiques à propos de publication) :

De nombreuses personnes se sont alors prêtées au jeu, notamment un individu qui recalcule alors toutes les p-value. La p-value est un élément qui représente ici le risque d’erreur lorsque l’on conclut à une différence significative, plus la valeur de cette p-value est importante plus grande sont les chances de se tromper, donc quiconque souhaite voir une différence significative et donc conclure à un effet de son traitement souhaite donc calculer une p-value la plus petite possible. Or cet internaute ne tombe pas tout à fait sur les mêmes résultats :

“ Table 2, Day 3: reported p=0.005, calculated p=0.0136 Table 2, Day 4: reported p=0.04, calculated p=0.0780 Table 2, Day 5: reported p=0.006, calculated p=0.0148 Table 2, Day 6: reported p=0.001, calculated p=0.0019

Table 3, Day 3: reported p=0.002, calculated p=0.0019 Table 3, Day 4: reported p=0.05, calculated p=0.0429 Table 3, Day 5: reported p=0.002, calculated p=0.0025 Table 3, Day 6: reported p<0.001, calculated p=0.0005

That is, Table 3 was more or less reproduced, but Table 2 wasn’t; most of my p values are around twice the ones in the preprint.”

Il trouve des p-value dont les valeurs sont les doubles de ce qui est trouvé dans le manuscrit en ce qui concerne les données du tableau 3.

On peut entendre et comprendre qu’en période d’urgence pandémique et la nécessité de trouver un traitement demande une souplesse vis-à-vis de l’évaluation d’une étude clinique, qu’organiser une étude clinique dans la hâte soit difficile, malgré tout le fait que des patients non testés (ND) soient rangés dans les cases qui arrangent les auteurs dans le but de gonfler la différence entre les groupes n’est pas acceptable, le fait de changer les résultats des patients passant de non testés (ND) dans une première version du manuscrit à positifs (POS) dans la deuxième n’est pas acceptable.

Il est tout à fait possible que la chloroquine soit une molécule avec un avenir thérapeutique immense, un espoir en cette période de pandémie, mais cette étude ne permet pas de le montrer. Il n’existe pas à ce jour de résultats d’essais cliniques pouvant prouver son efficacité, il serait irresponsable d’utiliser ce médicament comme traitement de routine. Après tout, si vous n’avez pas besoin de preuves d’efficacité pour utiliser un produit de routine, alors pourquoi ne pas le faire avec le soda pour traiter le SARS-CoV2 ? Pourquoi pas le cyanure ? Pourquoi pas le formaldehyde ? pourquoi pas le bromure d’éthidium ?

Il semble que tous parlent de cette étude, en font les louanges, retweet les résultats mais personne ne semble l’avoir lu, Donald Trump souhaitait utiliser la chloroquine comme traitement de routine aux Etats-Unis avant que la FDA (Food and Drug Administration) ne l’arrête et mette en place un essai clinique pour arriver à une vraie conclusion scientifique :

« The FDA has been working closely with other government agencies and academic centers that are investigating the use of the drug chloroquine, which is already approved for treating malaria, lupus and rheumatoid arthritis, to determine whether it can be used to treat patients with mild-to-moderate COVID-19 to potentially reduce the duration of symptoms, as well as viral shedding, which can help prevent the spread of disease. Studies are underway to determine the efficacy in using chloroquine to treat COVID-19. »

Traduction: “La FDA a travaillé en étroite collaboration avec d’autres agences gouvernementales et centres universitaires qui étudient l’utilisation de la chloroquine, qui est déjà approuvé pour le traitement du paludisme, du lupus et de la polyarthrite rhumatoïde, afin de déterminer si elle peut être utilisée pour traiter les patients atteints de légère/modéré COVID-19 pour réduire potentiellement la durée des symptômes, ainsi que la production de particules virales, ce qui peut aider à prévenir la propagation de la maladie. Des études sont en cours pour déterminer l’efficacité de l’utilisation de la chloroquine pour traiter COVID-19. »Le président Trump annonce alors attendre les 15 jours avant de se décider dans une stratégie thérapeutique :

Un essai clinique européen, coordonné par l’INSERM, piloté par Florence Ader (infectiologue à Lyon) est lancé, 3200 patients inclus à travers la France, le Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne ! Cette étude testera l’effiacité de différentes molécules dont la chloroquine :

« L’essai DISCOVERY démarre avec cinq modalités de traitement :

  • soins standards
  • soins standards plus remdesivir,
  • soins standards plus lopinavir et ritonavir,
  • soins standards plus lopinavir, ritonavir et interféron beta
  • soins standards plus hydroxy-chloroquine. »

De toute évidence, la chloroquine n’est pas la seule perspective thérapeutique intéressante qui existe, demandez-vous alors : « pourquoi on ne parle que d’elle ? » Après tout, il n’y a pas plus de preuves de son efficacité chez l’Homme pour le traitement du SARS-CoV2 que les autres molécules, alors pourquoi ?

L’efficacité de la chloroquine ne repose que sur une étude chinoise dont les résultats sont inaccessibles. Or, une autre molécule répond aux mêmes critères : la Flavipiravir, produit japonais, testé sur 236 patients dont les résultats (sans êtres impressionnants, montrent une efficacité encourageante) et dont le manuscrit est également publié sur Medarchive.

N’ayant pas lu l’étude clinique du professeur Raoult, les plus pressés demandent à ce que la molécule soit lancée comme traitement de routine, et devant le scepticisme des autres scientifiques face à cette étude, les théories complotistes émergent :

Ce qui est un désaccord scientifique, devient un conflit d’intérêt aux yeux des individus hors de la sphère scientifique de l’INSERM. De même que Idriss Aberkane qui a posté une vidéo nommée « Pourquoi RAOULT est un héros ! | IDRISS ABERKANE » dans lequel il explique l’attitude des institutions par le fait que l’ancien président de l’INSERM et mari de Agnès Buzyn, Yves Levy détestait Didier Raoult, sachant que le président de l’INSERM est aujourd’hui Gilles Bloch et le ministère de la santé Oliver Veran. Dans la même vidéo Idriss Aberkane déclare « Un des premiers résultats très fiables qui sortaient de l’étude Raoult ce n’était pas seulement de soigner, c’était la réduction de la charge virale, on avait des patients qui produisaient moins de virus ».

Il est évident que tous commentent et aucun d’entre eux n’ont lu le manuscrit de Didier Raoult, que ce soit Mediapart qui relaie un article de Jean-Dominique Michel qui dans toute une première partie souhaite calmer et relativiser sur les chiffres alarmistes et anxiogènes : « J’en appelle à mes collègues de la Faculté de médecine et autres instituts universitaires pour qu’ils arrêtent de produire et de colporter des modélisations fausses et anxiogènes. Ces experts se protègent en reconnaissant par précaution de langage le caractère outrancier de leurs formalisations, les journalistes le mentionnent scrupuleusement (c’est à leur crédit), on n’en construit pas moins diligemment un sentiment de fin du monde qui non seulement n’a absolument pas lieu d’être, mais de surcroît est lui-même profondément nocif ! »

 Pour finalement être dans l’urgence lorsqu’il s’agit d’utiliser la chloroquine comme traitement de routine :

 « Mais diable ! nous sommes dans une situation d’urgence. La chloroquine est un des médicaments les mieux connus et les mieux maîtrisés (en particulier par l’IHU de Marseille). On peut donc tabler sur une très solide expérience relative au sujet de sa prescription. Se réfugier derrière un intégrisme procédural est éthiquement indéfendable dès lors qu’on parle d’un médicament qu’on connaît par cœur, qui a déjà démontré son efficacité sur d’autres coronavirus, confirmée sur celui-ci par deux essais cliniques, et alors que des vies sont en jeu jour après jour ! »

Et le légendaire complot du Big pharma pour les plus amusants :

On rappelle que Sanofi était extrêmement enthousiaste à l’idée d’utiliser la chloroquine comme traitement de routine.

Après tout on rappelle que la Plaquenil est un produit de Sanofi-Aventis avec AMM depuis 2004.

D’où vient le légendaire « ça ne coûte pas cher ? » Eh bien, entre le moment où une entreprise pharmaceutique a identifié une molécule à potentiel thérapeutique et l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), on estime à 15 ans de travail et 1 milliard d’euros de dépenses en essais cliniques et autres tests (toxicologie, en culture cellulaire, chez le modèle animal, chez l’Homme), ainsi comme la chloroquine a déjà passé la majorité de ces tests il y a de nombreuses années lors de son AMM pour le paludisme, il ne reste plus que les phases finales des essais cliniques à réaliser (prouver son efficacité), en réalité c’est un business plan extraordinaire pour n’importe quelle entreprise pharmaceutique de pouvoir utiliser une ancienne molécule pour une nouvelle maladie, ça ne coûte pas cher oui, ça ne coûte pas cher pour Sanofi. De plus, ces essais cliniques sont actuellement réalisés par les autorités de santé et pas financé par Sanofi (oui, même celle de Didier Raoult).

L’esprit complotiste est enfantin, manichéen : d’un côté, les méchants (les puissants, les riches, le big pharma et ses sbires hauts fonctionnaires) et de l’autre le gentil, le professeur Raoult, « génie anticonformiste » d’après Alexandre Benalla (sachez que la moitié des chercheurs ont ce « look » que vous trouvez atypique, en congrès de biologie mettre une chemise et un jean c’est déjà être sur son 31). La vérité est plus cruelle et moins romantique que cela : l’étude clinique du professeur Raoult est une catastrophe méthodique, même avec de la souplesse il est impossible de conclure à quoi que ce soit, la communauté scientifique n’est pas dupe et ne valide donc pas ces résultats. En réalité il n’est ni un rebelle vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique, pas plus qu’il ne l’est vis-à-vis des institutions. L’INSERM et la FDA lancent tous deux des essais cliniques incluant la chloroquine, personne n’est opposée à l’utilisation de cette molécule si elle donne des preuves de son efficacité.

Alors que d’autres se lancent dans l’évaluation de cette molécule, l’équipe hospitalo-universitaire marseillaise prend la décision de traiter des patients avec la combinaison hydroxychloroquine + azithromycine hors AMM, car il serait pas moral que cette association ne soit utilisée systématiquement dans les essais cliniques.

A vous de juger.

2 Comments

  1. Pingback: Professeur Raoult & Chloroquine, même les meilleurs peuvent se tromper… – Cercle Cobalt

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