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Michel Tibayrenc éclaire le débat sur les races humaines

Depuis quarante-cinq ans, Michel Tibayrenc [1], docteur en médecine, docteur d’Etat es sciences, consacre sa carrière à la génétique et à l’évolution des maladies infectieuses. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages spécialisés, comme «On Human Nature : Biology, Psychology, Ethics, Politics, and Religion» (Elsevier) [2], et des livres destinés au grand public, comme «Notre humaine Nature» (éditions rue de Seine) [3], coécrit avec Francisco Ayala. Sa rigueur scientifique et sa curiosité naturelle l’amènent à aborder des sujets où les préjugés et les idéologies sont souvent un frein majeur à une compréhension honnête. Sa conception des races humaines comme des sous-espèces ou races géographiques, en accord avec les définitions en vigueur en anthropologie physique et en génétique des populations, et son constat de différences innées entre populations géographiques, notamment face à la maladie, exigent une rigueur méthodologique sans faille et une exactitude des informations irréprochable afin que la science ne succombe pas aux menaces de l’ «obscurantisme bien intentionné».

 

"Géographie : cours élémentaire et moyen" de L. Gallouédec, F. Maurette, (1864-1937).
« Géographie : cours élémentaire et moyen » de L. Gallouédec, F. Maurette, (1864-1937).

 

Propos recueillis par Hassan (les références et illustrations ont été sélectionnées par Hassan), fondateur du Cercle Cobalt [4], [5].

 

Qu’est-ce qui vous a amené à explorer le thème des races humaines ?

La question me préoccupe depuis l’aube de ma carrière dans les années 1980. Affecté en Bolivie pour plusieurs années par mon organisme de tutelle, l’ORSTOM (Office de Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer, maintenant IRD, Institut de Recherche pour le Développement) [6], j’avais été séduit par la diversité ethnique de ce magnifique pays, et intrigué par le décalage apparent entre la doxa déjà en cour (« les races humaines n’existent pas ») et les connaissances génétiques dont nous disposions déjà sur la diversité génétique humaine.

 

Pourquoi la notion de races humaines est-elle souvent considérée comme pseudo-scientifique ?

Probablement parce qu’elle a été largement instrumentalisée dans le passé par des idéologies condamnables (esclavagisme, colonialisme, nazisme), ce qui l’a disqualifiée.

 

Comment définiriez-vous la notion de race humaine ?

Une remarque d’emblée : le terme de « race » heurte l’oreille et effraie, pour des raisons historiques qu’il est inutile de rappeler. Ce fort rejet ne doit pas être traité à la légère. Cependant, je n’ai trouvé aucun terme de substitution convenable. Dans la terminologie actuelle, on parle de « groupes ethniques », de « groupes d’ascendance » ou de « populations géographiques ». Mais cette prudence sémantique relèverait largement de la « political correctness », comme noté par Jordan (2021, cahiers de l’Urmis) [7], car conceptuellement, ces euphémismes recouvrent exactement la notion de race humaine telle qu’élaborée par l’anthropologie physique (Henri Vallois) ou la génétique des populations (Theodosius Dobzhansky, Ernst Mayr, Daniel Hartl, Francisco Ayala).

Le Professeur Henri-Victor Vallois, anthropologue et paléoanthropologue

Cette notion, comme les spécialistes de ces disciplines y insistent, semble répondre de façon très satisfaisante au concept taxonomique de sous-espèce ou race géographique, variants géographiques d’une même espèce présentant des traits spécifiques remarquables. Ce concept très souple, très proche d’une observation directe des données brutes, ne stipule nullement que ces races géographiques sont chacune homogènes et strictement séparées les unes des autres, comme l’édicte la notion erronée de race typologique, constamment mise en avant par les tenants de la doxa « les races humaines n’existent pas » (voir plus loin). Adamon (The Condor, 1949) a proposé le critère des 75% pour décider si une sous-espèce vaut la peine d’être décrite : il faut pouvoir distinguer 75% des individus de la sous-espèce A de 100% des individus de la sous-espèce B. On est loin des exigences drastiques de la notion de race typologique.

 

Pouvez-vous donner un aperçu de l’évolution du concept de races humaines depuis le siècle des Lumières jusqu’à nos jours ?

D’un point de vue taxonomique, la description des races humaines a assez peu changé depuis Charles Linné (Systema Naturae, 1758) : de 5 à 7 subdivisions majeures. Ce qui a bouleversé nos connaissances, c’est l’apport considérable de la génétique des populations et de la génomique (étude du génome entier).

 

Des scientifiques de grande importance tels que Henri Victor Vallois [8], Theodosius Dobzhansky [9] ou encore Ernst Mayr [10] ont, tout au long de leur carrière, défendu le concept de races humaines ?

C’est exact. Dobzhanzky, un des pères de la « théorie synthétique de l’évolution », a toujours défendu le concept de race humaine [11], contrairement à ce qui a été écrit récemment (Yudell et col., Science, 2016) [12]. Comme dit plus haut, il assimilait les races humaines à des sous-espèces. Même chose pour Mayr et Vallois [13]. Mayr considérait que les gens pour qui les races humaines n’existaient pas « ignoraient manifestement la biologie moderne. » [14]. Cette affirmation est excessive. En effet, la notion de la non-existence des races humaines a été défendue par des scientifiques de tout premier plan, comme Lucas Cavalli-Sforza, Richard Lewontin ou Albert Jacquart. Dobzhansky les considérait comme « un groupe de chercheurs peu nombreux mais bruyants ». Bruyants, certes, mais de moins en moins peu nombreux.

Un des biologistes les plus importants du xxe siècle, principal promoteur de la théorie synthétique de l’évolution.

Les sous-espèces sont très répandues dans le monde animal. Elles font le bonheur des collectionneurs de carabes ou de cétoines. Un exemple de paires de sous-espèces : le zébu et le bœuf européen. Ils présentent des différences morphologiques remarquables, ce qui avait conduit anciennement à les considérer comme des espèces différentes (Bos indicus et Bos taurus). Mais ils sont parfaitement interféconds, et en Thaïlande, pays que je connais bien, on trouve nombre d’individus intermédiaires. Les différences ne se limitent pas à la morphologie. Le zébu thaïlandais est très résistant au Trypanosoma evansi, un parasite proche de celui de la maladie du sommeil, alors que les vaches importées d’Europe y sont très sensibles. De même, les populations géographiques humaines (les « races ») présentent de fortes différences de sensibilité à nombre de maladies.

Si l’on recentre le débat sur le concept de races humaines en tant que sous-espèces ou races géographiques, on voit qu’un des premiers défenseurs de l’antiracisme scientifique, l’anthropologiste américain F.B. Livingstone (Current Anthropology, 1962) [15], un des principaux contradicteurs de Dobzhansky, « appuyait où ça fait mal », puisqu’il entendait disqualifier le concept de sous-espèce en général.

On peut discuter à l’infini de la valeur de telle ou telle catégorie taxonomique. Reste le fait que de nos jours, beaucoup de zoologues continuent de décrire des sous-espèces.

 

En l’état actuel des connaissances, la définition de la race humaine proposée par Theodosius Dobzhansky comme fréquence allélique est-elle correcte ? Dans le sillage des avancées majeures de la génétique des populations, et spécifiquement de la publication de l’important article de Rosenberg en 2005, Noah A., et al. « Clines, clusters, and the effect of study design on the inference of human population structure. » La publication de Rosenberg confirme-t-elle ou réfute-t-elle la définition de Dobzhansky ?

Rappels :

(1) Fréquence : nombre de fois où une catégorie donnée est représentée dans la population totale à l’étude. Dans un jeu de cartes, la fréquence des cartes « noires » est de 50%, ou 0,5. Dans un jeu de 32 cartes, il y a quatre rois. La fréquence de la catégorie « roi » est de 4/32 = 12,5% ou 0,125.

(2) Les allèles sont des formes moléculaires différentes d’un même gène. Un gène = une séquence d’ADN commandant un trait donné. Chez chaque individu humain, chaque chromosome existe en deux exemplaires. Il y a deux exemplaires de chaque allèle, un qui vient du père, un, de la mère. Si les deux allèles sont moléculairement identiques, l’individu est dit « homozygote ». Si les deux allèles sont différents, l’individu est « hétérozygote ».

Généticien et évolutionniste américano-russe dont l’œuvre a eu une grande influence sur l’interprétation scientifique et les recherches concernant la théorie évolutionniste.

Les populations géographiques humaines diffèrent par leurs fréquences alléliques, par exemple pour les gènes commandant les groupes sanguins. Les fréquences de ces groupes sanguins, A, B, O, Rh (+) et (-) ne sont pas les mêmes chez Européens, Africains, Asiatiques. Un panel de gènes adéquat permet de caractériser chaque groupe géographique jusqu’à une échelle très fine : par exemple : distinguer statistiquement Suisses francophones, italophones, germanophones. Ce n’est pas que le fait de parler français, italien ou allemand soit génétiquement déterminé : cela dénote simplement qu’on a tendance à épouser quelqu’un qui parle la même langue que vous. Ceci explique qu’évolution linguistique et évolution génétique sont corrélées, comme l’ont montré Cavalli-Sforza et col. (Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 1992) [16].

Donc, si l’on accepte la definition de race humaine = sous-espèce, la définition de Dobzhansky, basée sur les fréquences alléliques, est pertinente. En effet, les sous-espèces en général différent par leurs fréquences alléliques et non pas par la possession d’allèles spécifiques, présents chez telle sous-espèce et absents chez telle autre.

Les résultats de Rosenberg [17], qui sont basés sur les fréquences alléliques, confirment indirectement la définition de Dobzhansky. Cependant, Rosenberg et col. [17] ont insisté sur le fait que leurs résultats ne sauraient être considérés comme une confirmation de la race en tant qu’entité biologique.

Figure 2. Inferred Population Structure Based on 1,048 Individuals and 993 Markers, Assuming Correlations among Allele Frequencies across Clusters

 

Cependant, certains chercheurs de l’époque, comme Cavalli-Sforza et Richard Lewontin, étaient fortement opposés à l’idée de races humaines. Disposaient-ils de nouvelles connaissances ou méthodes leur permettant de réfuter l’idée de races humaines ?

C’était l’’époque de l’avènement des premiers marqueurs génétiques (isoenzymes, microsatellites), qui permettaient d’élaborer des modèles de génétique des populations plus fiables. Mais ces nouveaux modèles peuvent être interprétés de différentes manières, comme je le montre dans mon livre « notre humaine nature », écrit avec mon regretté compagnon scientifique Francisco Ayala. Cavalli-Sforza et plus encore, Lewontin ont interprété ces nouvelles données dans le but de réfuter l’existence des races humaines. Ils suivaient en cela la stratégie désormais classique de l’« antiracisme scientifique », qui vise à éliminer le racisme en disqualifiant scientifiquement le concept de race humaine.

Arbre phylogénétique pour 9 groupes de populations réalisé Cavalli-Sforza

Je considère personnellement que cette stratégie est un cul-de-sac dangereux. Elle revient à dire que si certaines données scientifiques cautionnaient le racisme, il serait licite d’être raciste. Pour moi, l’indispensable combat contre le racisme doit se situer sur un plan strictement moral, éthique, politique.

 

Pouvez-vous expliquer le sophisme de Lewontin et ses implications dans le débat sur les races humaines ?

Le titre de l’article séminal d’A.W.F. Edwards de 2003 (BioEssays) est : « Human genetic diversity: Lewontin’s fallacy » [18], que l’on peut traduire par « l’erreur », ou « l’illusion » de Lewontin. J’ai usé du terme un peu taquin de « sophisme » parce qu’on peut soupçonner que Lewontin a présenté sciemment ses données de manière à saper le concept de race humaine. En effet, j’y insiste, cet homme était un généticien de tout premier plan, et son « erreur » ou son « sophisme » ne sauraient être mis sur le compte d’une quelconque incompétence.

Dans son article de 1972 dans Evolutionary Biology [19], Lewontin montre que 85% de la diversité génétique humaine s’observe au sein des grands groupes géographiques (les « races »), alors que seulement 15% sont recensés entre les groupes géographiques. Cet argument a été utilisé de manière répétée par les tenants du l’ « antiracisme scientifique ».

En fait, l’argument peut être contesté de plusieurs manières.

Premièrement, comme le développe Edwards, le modèle utilisé par Lewontin (la statistique « Fst ») est une « boîte noire », qui occulte certaines propriétés remarquables des marqueurs génétiques, en particulier ceux impliqués dans les 15% ayant trait aux différences entre populations géographiques. Ces 15% vont tous dans le même sens, ils sont « congruents », et plus on ajoute de marqueurs, plus cela se confirme, plus les populations géographiques apparaissent différenciées les unes des autres, alors que rien ne change au niveau de la Fst. Autrement dit, quand on analyse finement ces marqueurs différenciant les populations, on peut classifier ces populations, et on retombe sur les grands groupes géographiques, Africains, Européens, Asiatiques, Amérindiens, Océaniens.

Deuxièmement, et cela renforce le premièrement, la statistique de Lewontin reposait sur ce qu’on appelle des variants « communs », ceux dont la fréquence est relativement élevée dans toutes les populations. Si l’on considère les variants « peu fréquents » (fréquence inférieure à 5%) ou plus encore les variants « rares » (fréquence inférieure à 0,5%), on a un tout autre tableau. Ces variants tendent à être spécifiques de populations données. Autrement dit : ils renforcent considérablement les différences entre populations géographiques. Or, à la différence des variants « communs », ces variants peu fréquents ou rares jouent un rôle essentiel dans la genèse des « phénotypes » (phénotype = toutes caractéristiques essentielles des organismes. Non seulement couleur de la peau ou taille ou force musculaire, mais également taux de sucre dans le sang, tension artérielle, sensibilité aux maladies etc.).

En résumé : l’argument de Lewontin est une donnée scientifique très importante, mais il ne saurait être une réfutation définitive de l’existence de races humaines.

En fait, j’essaie de montrer dans mon livre : « notre humaine nature », qu’on ne peut dire dans l’absolu, ni qu’il y a des races humaines, ni qu’il n’y en a pas. L’une ou l’autre proposition sont des modèles. En science, il n’y a pas de vérité absolue, il n’y a que des modèles, des hypothèses de travail, provisoires par essence. Le tout est de trouver le modèle qui « colle » le mieux aux données. L’existence ou la non-existence des races humaines est largement une affaire de définition. Le modèle typologiste ne « colle » pas, personne n’en disconvient. Par contre, à mes yeux, le modèle « sous-espèce » « colle » plutôt bien.

En Amérique du nord et en Europe de l’ouest, la notion de non-existence des races humaines est très répandue, voire majoritaire, plus du reste chez les spécialistes de sciences humaines que chez les biologistes. En Europe de l’est, en Russie, et en Chine, il en va tout autrement [20]. Considérer que les scientifiques de ces pays « se plantent » obligatoirement serait hasardeux, voire raciste. Il y a débat, c’est bien la preuve qu’il n’y a pas consensus, comme on le soutient souvent de façon erronée.

Biologiste, généticien américain, professeur titulaire de la chaire Alexander Agassiz à l’université Harvard.

 

Pouvez-vous expliquer les défis philosophiques et scientifiques que pose la définition de catégories biologiques telles que l’espèce et la race ?

Philosophie : ce n’est pas ma partie forte. Je laisserai cette partie de la question de côté.

Scientifiquement parlant, établir une taxonomie (démarche visant à classer les catégories du vivant) est toujours un défi conceptuel. C’est inattendu pour le grand public, mais même la notion d’espèce, qui pourrait apparaître très simple et consensuelle, fait l’objet de multiples définitions. Hey (2001, Trends in Ecology and Evolution) [21] a dénombré pas moins de 24 concepts d’espèces différents !

Définir un taxon, c’est-à-dire une unité de classification, c’est en fait formuler une hypothèse de travail, avec un pouvoir prédictif le plus satisfaisant possible. La catégorie « race humaine » fait l’objet d’âpres débats, en premier pour des raisons idéologiques et politiques bien compréhensibles. Si l’on accepte la définition très souple de race comme sous-espèce, nous avons un bon pouvoir prédictif. Ce concept ne stipule nullement, à la différence du concept « typologiste », que les races doivent être strictement délimitées et montrer chacune une grande homogénéité biologique et génétique. Il prédit simplement que les populations géographiques diffèreront les unes des autres par de nombreux traits, mais que ces différences seront avant tout de niveau statistique, probabilistique. De plus, elles seront beaucoup plus observables au niveau des populations qu’au niveau des individus. Par exemple, l’intolérance au lactose (le sucre du lait) sera en moyenne plus fréquente chez les Asiatiques que chez les Européens de l’ouest. Cela ne veut pas dire que tous les Asiatiques seront intolérants au lactose, et tous les Européens de l’ouest, tolérants.

Enfin ce concept admet parfaitement que chaque population géographique (chaque « sous-espèce »), loin d’être homogène, peut montrer une grande variabilité. Au sein des populations européennes, par exemple, il est facile d’observer qu’en moyenne, Suédois et Sardes montrent d’importantes différences. Mais on trouvera toujours des petits Suédois bruns et des grands Sardes blonds.

 

Pourquoi la notion de race n’a pas de sens (en biologie comme en sciences sociales)

Dans une vidéo intitulée « Pourquoi la notion de race n’a pas de sens »[22], le Youtubeur vulgarisateur scientifique Stéphane Debove (docteur en biologie) explique pourquoi la race n’a pas de sens chez l’homme.

Je serais enchanté de débattre avec ce collègue, et avec d’autres qui ne partagent pas mon point de vue.

 

Il développe plusieurs arguments [23] :

 

« Les anthropologues ont essayé pendant des dizaines d’années de classer les humains sur la base de différents critères, et ils n’en ont jamais trouvé de vraiment satisfaisant. […] jamais de quoi justifier l’existence de cases, autrement dit jamais de quoi essentialiser. »

On tombe là en plein dans l’écueil du concept typologiste, ou « essentialiste » de la race, qui n’a jamais eu cours, ni en anthropologie physique, ni en génétique des populations. Selon ce critère erroné, chaque race est une « case » bien séparée des autres cases, et est homogène. Rien d’étonnant à ce qu’on ne puisse accepter une classification satisfaisante des populations géographiques avec un filtre aussi inadéquat.

« la génétique est venue confirmer que les humains sont très similaires les uns aux autres. L’ADN de deux humains pris au hasard est similaire à 99,9%. […] Et enfin, la majorité des différences génétiques entre deux individus n’est pas due à leur filiation. Comme le dit Bernard Binétruy : « tout le reste, la grosse majorité des séquences différentes, on parle pas des 99,9% des séquences qui sont communes à deux individus, dans les séquences différentes la grosse majorité ne peut pas être attribuée à une origine géographique quelconque ».Une grosse partie des différences entre humains est de la variation individuelle non liée à la géographie. Quand tout à l’heure on disait qu’on pouvait savoir d’où venaient nos ancêtres en faisant des analyses génétiques, pour arriver à ces conclusions on se base sur un échantillon très restreint de séquences d’ADN. »

Le séquençage montre que l’homme moderne partage 80% de ses gènes avec la chèvre.

Voir le passage sur Lewontin.

(1) Avec un panel de marqueurs génétiques adéquat, on caractérise de façon très fiable les principales populations géographiques (Africains, Européens, Asiatiques, Amérindiens, Océaniens), et des populations plus restreintes (par exemple : différents groupes d’Amérindiens).

(2) Les populations géographiques (les « races ») se distinguent les unes des autres par leur phénotype. Ces différences sont très loin de se limiter à la seule couleur de peau. Or, la genèse des phénotypes n’est pas une élection au suffrage universel de gènes et n’est pas corrélée aux nombres bruts de différences génétiques. Les différences phénotypiques entre populations géographiques reposent, non seulement sur les différences de fréquence entre les séquences ADN des gènes, mais également sur le niveau d’expression de ces gènes, et sur les différences structurelles (tronçons d’ADN en plus ou en moins). Interviennent également les phénomènes d’épigénétique (différences de niveaux d’expression de gènes sans modification de la séquence ADN).

Avec ce raisonnement des 99,9%, on pourrait dire que l’homme et le chimpanzé ne sont pas des espèces différentes, parce qu’ils ont 98% de leur ADN en commun.

«l’espèce humaine est aussi remarquable par ses migrations et ses mélanges incessants
au cours de l’histoire. […] si vous faites séquencer votre génome pour savoir d’où venaient
vos ancêtres, ne vous attendez pas à découvrir que vous descendez d’une lignée « pure » entre guillemets. Ça n’existe pas les lignées pures. »

Je suis d’accord. Mais personne n’a jamais dit, sauf peut-être les nazis, que les populations géographiques étaient des lignées « pures » [24], [25], [26]. L’anthropologie classique a postulé depuis longtemps que la plupart des populations géographiques étaient le résultat de brassages poussés [27], [28], [29] . Cependant, brassages ne veut pas dire homogénéisation. Les brassages n’ont pas été les mêmes en différents points du globe.

«Tout le monde vient d’Afrique»

C’est la notion consensuelle. Mais elle est de plus en plus nuancée, ne serait-ce que du fait qu’après la « sortie d’Afrique » (out-of-Africa), les populations non africaines se sont mélangées aux humains archaïques locaux (Néanderthaliens, Denisoviens, voire Homo erectus), ce qui a modifié leur adaptation aux conditions environnementales [30]. Européens, Océaniens et Asiatiques ont fait de l’ « auto-stop génétique » chez leurs cousins archaïques.

De plus, depuis la sortie d’Afrique, les différentes populations géographiques ont eu tout le temps de s’adapter à des environnements très dissemblables, c’est-à-dire de se différencier. En effet, l’évolution biologique peut être très rapide. En Bolivie, un pays que je connais bien, y ayant passé plus de 7 ans, l’Altiplano est un haut-plateau très étendu, qui a une altitude d’environ 4000m. Ses habitants originels, les Indiens Aymaras, sont remarquablement adaptés à la haute altitude [31], bien qu’ils ne soient là que depuis quelques millénaires. Ils ont une forte capacité respiratoire, ils fabriquent plus aisément des globules rouges, et ils ont certains traits métaboliques favorable à la vie en altitude.

« la génétique a aussi montré que la couleur de peau, ce critère de démarcation si important pour certains, ne reflète pas des différences profondes de personnalité, de talents ou de je ne sais quoi, mais est simplement une adaptation à la quantité de soleil reçue. comme le dit Bernard Binétruy : quand on a pu extraire l’adn et faire son génome, on s’est rendu compte que pas du tout, cet individu avait la peau sombre, et les yeux bleus d’ailleurs »

Je ne comprends pas cette histoire de peau sombre et yeux bleus. Parle-t-on là du fameux « homme de Cheddar », le « père de tous les Britanniques » ? En fait, cette description prématurée de l’homme de Cheddar n’a fait l’objet d’aucune confirmation, à ma connaissance, dans une quelconque revue scientifique ayant pignon sur rue.

« si vous vouliez essayer de fonder les races sur d’autres traits que les traits physiques, comme les traits cognitifs, manque de bol, les sciences comportementales, dont la psychologie évolutionnaire, ont montré que les humains avaient globalement les mêmes capacités cognitives partout. »

Je pense que cette affirmation est hâtive, à tout le moins mal formulée [32]. « Les mêmes capacités cognitives », cela veut-il dire strictement identiques, sans aucune nuance possible ? Ma conviction est qu’on peut explorer des différences cognitives entre populations géographiques sans pour autant établir des hiérarchies.

Différents peuples ont généré des civilisations différentes, que je vois comme des spécialisations. Décréter a priori que les différences génétiques n’ont joué aucun rôle dans ces spécialisations me parait hasardeux. C’est la thèse du grand Lévi-Strauss dans « race et histoire », mais cet éminent anthropologue n’avait aucune compétence en biologie qui lui permettait d’affirmer cela.

Personnellement, je vois là un champ de recherche très prometteur. L’évolution a généré des différences entre populations géographiques, lesquelles constituent ainsi un matériel d’étude incomparable. Nous disposons maintenant, avec l’imagerie médicale et l’étude des neurotransmetteurs et des gènes du cerveau, des outils nécessaires pour comparer les populations géographiques entre elles.

En ce qui me concerne, je suis pour une recherche libre, sans censure. Mais je comprends très bien que d’autres scientifiques puissent avoir une vue différente. En tous cas, le débat, qui demande à être urgemment dédramatisé, mérite d’être ouvert : y va-t-on, ou pas ?

On pourrait établir une charte éthique visant à assurer en amont que de telles recherches ne seront mises au service que du progrès humain, et de la recherche scientifique et médicale. Y a-t-il des différences cognitives innées, possiblement subtiles, entre populations géographiques ?

(1) le seul moyen de le savoir, c’est d’y aller voir. Personnellement, je n’en sais (encore) rien. J’aborde le problème sans aucune idée préconçue.

(2) se poser la question n’est aucunement une démarche raciste en soi. Plus généralement : étudier des différences entre populations géographiques n’est pas du racisme. Le racisme consiste à hiérarchiser les populations, à décréter que certains peuples sont supérieurs à d’autres, et, plus grave, à en tirer des conséquences politiques. L’anthropologiste américaine Ruth Benedict, une des pionnières de l’antiracisme scientifique entre les deux guerres, insistait sur le fait que l’étude des races n’était pas du racisme [33].

(3) Différences ne veut pas dire inégalités, encore moins hiérarchies. Comme l’a noté l’anthropologue américaine Margaret Mead, peu suspecte de racisme : « L’égalité et l’inégalité sont des notions sociologiques, et l’identité et la diversité sont des phénomènes biologiques. La diversité est un fait observable; l’égalité, un précepte éthique. La société peut accorder ou refuser l’égalité à ses membres ; cela ne pourrait pas les rendre génétiquement semblables même si cela était souhaitable ». Cité par Dobzhansky, Columbia University press, 1968).

D’avoir travaillé près de 20 ans hors hexagone (Algérie, Guyane française, Bolivie, USA, Thaïlande), d’avoir appris l’anglais, l’espagnol, le thaïlandais, et aussi, d’être marié à une Thaïlandaise, m’a inculqué profondément les vertus du relativisme culturel. Les différents peuples que j’ai côtoyés avec une joie toujours renouvelée ont généré des cultures et des civilisations très dissemblables. Je n’ai nulle tendance à hiérarchiser ces cultures, ce qui est l’essence même du racisme. Le grand Lévi-Strauss, déjà cité, a étudié en profondeur ces différences culturelles, et a montré de façon convaincante dans « race et histoire » pourquoi toute idée de hiérarchisation de ces différences était inepte.

(4) Des différences cognitives innées entre populations pourraient concerner bien d’autres traits que la seule « intelligence », sur laquelle se focalisent les fanatiques du QI. Rappelons du reste que l’ « intelligence » a de multiples composantes bien imparfaitement cernées par le seul QI.

D’autres traits cognitifs à explorer [34] pourraient par exemple être relatifs à la solidarité de groupe, la structure de la famille, les relations entre genres, des différences structurelles au niveau linguistique, le sens de la musique. C’est un champ de recherche potentiellement infini.

L’observation potentielle de subtiles différences entre populations pourraient enrichir considérablement nos connaissances du fonctionnement cérébral et de la psychologie de groupe. Dans ce domaine tout particulièrement, une approche multidisciplinaire, reposant sur la biologie et les sciences humaines, serait requise. Se priver volontairement d’une telle mine potentielle de connaissances m’apparait très dommageable.

 

Vous avez qualifié cette tendance un « obscurantisme bienveillant » pouvant avoir des conséquences délétères comme la décision de l’American Medical Association (AMA) et l’American Academy of Pediatrics (AAP), qui officiellement recommandent de ne plus prendre en compte le paramètre « race et ethnicité » dans quelque démarche médicale que ce soit. Si nous sommes similaires à 99,9% pourquoi estimez-vous cette décision comme préjudiciable ?

J’ai parlé d « obscurantisme bien intentionné ». J’ai déjà dit au sujet de l’ « erreur » de Lewontin ce qu’il fallait penser de cet argument des 99,9%.

J’ai jugé ces décisions préjudiciables parce que les populations géographiques diffèrent par la fréquence de nombreuses maladies, et ces différences de fréquences ont une base génétique. Pour prendre un seul exemple, la drépanocytose (anémie falciforme) est beaucoup plus répandue chez les gens d’ascendance africaine que chez les Européens. Pour la mucoviscidose, c’est l’inverse. Qu’un pédiatre américain soit conduit à faire abstraction de cela en face de ses jeunes patients m’apparait comme un obscurantisme bien intentionné, et très mal placé.

Bien évidemment, par ailleurs, le médecin doit tenir le plus grand compte des facteurs environnementaux (accès aux soins, éducation, nutrition, habitat, ressources économiques) dans la genèse des maladies. Ni tout génétique, ni tout environnemental.

David Reich biologiste américain et un généticien spécialiste de l’ADN fossile.

 

Dans un article de Skeptical Inquirer Jerry A. Coyne and Luana S. Maroja [35] affirment que « La biologie est gravement menacée par les politiques « progressistes » qui modifient la façon dont notre travail est effectué, délimitent les domaines de la biologie qui sont tabous et ne seront pas financés par le gouvernement ou publiés dans les revues scientifiques, stipulent les mots que les biologistes doivent éviter dans leurs écrits et décrètent la façon dont la biologie est enseignée aux étudiants et communiquée aux autres scientifiques et au public par le biais de la presse technique et de la presse populaire. » Selon vous, le processus scientifique est-il menacé par les idéologies de gauche ?

Selon moi, le processus scientifique est menacé par toute idéologie. L’idéologie génère des présupposés, des idées toutes faites, qui sont l’antithèse du processus scientifique. Ce dernier doit donc s’efforcer de se « nettoyer » en amont de toute idéologie. En retour, telle société se base sur des valeurs morales et éthiques qui ne sont pas négociables. En ce qui concerne notre société, l’antiracisme est une telle valeur morale. Quels que soient les résultats de la science, par essence provisoires et sujets à débats, cette valeur doit être préservée. C’est ce que j’ai appelé la « sanctuarisation réciproque » [36]. La morale, l’éthique, la politique, ne doivent pas entraver le processus scientifique, et réciproquement.

Rappelons que nombre de théories scientifiques qui ont maintenant pignon sur rue, ont été déclarées dans le passé comme fausses simplement parce qu’elles choquaient les idées morales de leur temps. Citons l’héliocentrisme (Nicolas Copernic), la théorie de l’évolution (Charles Darwin), la haute antiquité de l’Homme (Jacques Boucher de Perthes).

Jacques Millot Professeur au Muséum National d’Histoire naturelle et à la Faculté des Sciences de Paris « Biologie des Races Humaines », 1952

Références
1 | https://scholar.google.fr/citations?user=q-rMfIwAAAAJ&hl=fr&oi=ao
2 | https://doi.org/10.1016/C2013-0-12950-9
3 | https://ruedeseine.fr/livre/notre-humaine-nature/
4 | https://cercle-cobalt.com/presentation/
5 | https://cercle-cobalt.com/discussion-avec-hassan/
6 | https://www.ird.fr/
7 | https://doi.org/10.4000/urmis.2387
8 | https://doi.org/10.1002/9781118584538.ieba0505
9 | https://www.annualreviews.org/doi/pdf/10.1146/annurev.ge.10.120176.000245
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