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Professeur Raoult & Chloroquine, même les meilleurs peuvent se tromper…

Cet article a été co-écrit par Karl Jenkins et Antony Cobalt

Introduction

Dans un précédent article et notre podcast consacrés à l’épidémie de Covid-19 nous n’avons pas caché notre scepticisme au sujet de l’étude du Professeur Raoult censée prouver l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Sars CoV-2. En combinant les remarques de ses pairs sur Pubpeer et notre expertise nous avons retenu des incohérences dans les résultats, des chiffres modifiés après les premiers commentaires et des erreurs dans les calculs des P-Value.

Depuis, de nouvelles informations n’ont fait que renforcer notre méfiance. Une nouvelle étude chinoise, certes sur un échantillon lui aussi insuffisant de l’aveu même de ses auteurs, n’a pas permis de mettre en évidence un effet thérapeutique de l’hydroxychloroquine. En tout état de cause, elle n’est pas un médicament miracle qui ferait du Sars CoV-2 un virus anodin.

La médecine, parce qu’elle s’exerce sur le corps et la vie humaine, est très exposée aux scandales comme aux grandes espérances. Les maladies incurables, qu’elles soient infectieuses ou génétiques, sont souvent l’occasion du triomphe de la Science, comme Pasteur face à la rage mais aussi d’invraisemblables humiliations comme l’affaire de la ciclosporine censée combattre efficacement le SIDA

Pourquoi avons-nous de moins en moins confiance en Raoult?

Des déclarations sidérantes

Le Professeur Raoult s’exprime largement, notamment via la chaîne YouTube de son institut et son compte Twitter. Nous avons retenu deux déclarations choquantes du Professeur Didier Raoult. 

« C’est contre-intuitif, mais plus l’échantillon d’un test clinique est faible, plus ses résultats sont significatifs. Les différences dans un échantillon de vingt personnes peuvent être plus significatives que dans un échantillon de 10.000 personnes. Si on a besoin d’un tel échantillonnage, il y a des risques qu’on se trompe. Avec 10.000 personnes, quand les différences sont faibles, parfois, elles n’existent pas. » Retranscrit par Marianne

Plus un échantillon est faible, plus le risque d’erreur est important. Ce principe est valable en tous lieux et tous temps. Comme beaucoup de médecins, le Professeur Didier Raoult semble avoir des compétences contestables en statistiques. C’est un problème structurel qui explique comment les laboratoires parviennent à faire homologuer et distribuer des médicaments aux effets thérapeutiques douteux. C’est très souvent le cas des médicaments « me too », sorte de copie – à la limite de la contrefaçon – dont l’intérêt thérapeutique réel est souvent nul.

Cette déclaration sur Twitter est aussi contre-intuitive, et après vérification, il semblerait bien qu’elle soit très exagérée pour ne pas dire fausse.

D’après deux études publiées dans The Lancet, la charge virale (dans les prélèvements salivaires, ce qui ne veut pas dire que le virus n’est pas en train de détruire d’autres organes comme le système nerveux, le foie et le système intestinal) est effectivement plus basse après la première semaine d’infection mais elle est loin de disparaître.

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Sur le graphique, extrait de la seconde étude, les points en rouges représentent les mesures de la charge virale sur 3 patients intubés. On remarque immédiatement que leur charge virale est supérieure aux patients n’ayant pas nécessité d’intubation mais surtout qu’elle reste plus longtemps élevée. Ces résultats sont très loin de valider les déclarations du Professeur Raoult.

Elisabeth Bik passe à l’attaque

Elisabeth Bik est une microbiologiste qui, depuis 2014, s’est progressivement réorientée vers le conseil en intégrité scientifique, allant même prendre une année sabbatique pour s’y consacrer à plein temps à partir du mois d’avril 2019. C’est une contributrice régulière de l’excellent et impitoyable blog Retractation Watch. Elle s’est particulièrement illustrée dans la recherche des photos trafiquées. Elle a aussi accroché à son tableau de chasse un véritable « moulin à papier » chinois ayant produit plus de 400 études bidons en 3 ans. Suite à la polémique sur la chloroquine elle s’est engagée dans une inspection scrupuleuse des travaux de Raoult. Et autant vous prévenir, elle semble avoir trouvé un bon filon.

La première étude qu’elle étrille s’intitule « Bartonella vinsonii subsp. arupensis as an agent of blood culture-negative endocarditis in a human » et fut publiée dans Journal of Clinical Microbiology en 2005.

Avant d’aborder l’objet du délit présumé il convient de faire un aparté méthodologique sur la technique employée dans l’étude, le western blot, qui permet la détection des protéines. Pour faire simple on récupère un échantillon (du sérum humain, des cellules de culture peu importe), on « lyse » tout cela et on enlève le matériel génétique, l’objectif n’est de garder que les protéines de notre échantillon.

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Les protéines sont alors mises dans un gel d’acrylamide, l’objectif va être de séparer les protéines selon leurs poids moléculaires. L’acrylamide va former un maillage microscopique, or le gel contient un détergeant qui va charger négativement les protéines et permettre à ces dernières de migrer dans le gel grâce à un courant électrique, traversant le maillage de l’acrylamide. Les protéines de faible masse allant plus vite que les grosses protéines, on peut ainsi les séparer.

Néanmoins, les protéines ne sont pas visibles à l’œil nu. Pour les détecter on utilise un duo d’anticorps qui vont permettre de révéler la protéine spécifiquement. Si la protéine est présente, une bande apparaîtra, sinon il n’y aura rien. Dans la publication co-signée par Didier Raoult, ils réalisent un western blot de 5 échantillons différents (il s’agit d’un seul et unique prélèvement de patient qu’ils ont traités de 5 façons différentes).

Pourtant Elisabeth Bik souligne le fait que les résultats B et le C semblent être similaires, probablement un copier/coller :

En observant de très près, on voit en effet les mêmes petites taches (en haut et en bas de la ligne 1 notamment).

Elle souligne également le fait que la ligne 4 et 5 du panel D sont identiques entre elles et la ligne 4 du panel E mais avec des contrastes différents (rectangles verts), de même que les rectangles bleus qui sont avec des contrastes différents. Les auteurs n’ont pas répondu à ce jour à la remarque d’Elisabeth.

Elisabeth Bik a également passé au peigne fin la publication « A toxin-antitoxin module of Salmonella promotes virulence in mice » publiée en 2013 dans Plos Pathogens :

Là encore une figure semble avoir été l’œuvre d’un copier/coller. Cette fois c’est de l’ADN qui a migré dans un gel d’agarose et il semble que l’image soit retouchée, les bandes encadrées par des rectangles rouges semblent tout à fait similaire :

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Un autre intervenant a joué davantage sur les contrastes jusqu’à rendre visible le « bruit de fond » qui lui aussi semble tout à fait similaire :

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Stéphane Méresse, dernier auteur, travaillant au centre d’immunologie de Marseille admet qu’il s’agit d’une erreur, que la figure n’aurait jamais dû être publiée et poste en retour deux gels différents amenant à la même conclusion scientifique.

Elisabeth Bik continue son œuvre, c’est à une publication de 2016 nommée « Monoclonal Antibodies for the Diagnosis of Borrelia crocidurae » qu’elle demande des explications à propos d’une figure montrant de la microscopie à fluorescence :

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Tout comme le western blot, l’immunofluorescence repose sur un jeu d’anticorps, généralement les cellules sont fixées, on les perméabilise puis on y ajoute des anticorps spécifiques d’une protéine pour les rendre visibles.

Sur les 4 images sont présentées 2 souches bactériennes différentes (A-B et C-D) et la détection via deux anticorps différents (un anticorps a été utilisé pour A et C, un autre pour B et D).

Étrangement l’encadrement violet et bleu sont retrouvés dans l’image B (il est hautement improbable que l’on ait exactement la même image alors qu’il s’agit d’une condition différente), ce même encadrement bleu est retrouvé dans l’image D (ce qui est doublement improbable, sachant qu’en plus la souche bactérienne est différente).

Il est difficile de croire qu’il s’agit ici d’une erreur dans le montage de figure en faisant copier/coller par mégarde.

Pour finir, Elisabeth Bik va chercher dans une publication de 2001 « Activation of protein tyrosine kinases by Coxiella burnetii: role in actin cytoskeleton reorganization and bacterial phagocytosis ». Là encore le problème vient des photos d’immunofluorescence :

En jouant sur les contrastes et la luminosité de l’image, Elisabeth a remarqué des encadrements (mises en évidence par les flèches roses) autour de certaines cellules comme si elles avaient été rajoutées à l’image par un copier/coller.

Un autre internaute met davantage en évidence ces encadrements suspects :

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Conclusion :

L’étude des déclarations et des publications du Professeur Didier Raoult met en évidence des éléments douteux et des erreurs factuelles. Et ce n’est pas en publiant une nouvelle étude, sans groupe témoin, avec un bilan final (80% sans symptômes graves, 15% sous oxygénation et 1.5% de mortalité) qui ressemble en tout point à ce qu’on sait de la dangerosité du virus qu’il pourra nous convaincre. 

L’engouement autour de la chloroquine, qui risque fort de finir en désastre, ne va pas renforcer l’image de la Science auprès du grand public. Pourtant c’est bien en violant les règles de la méthode scientifique et la déontologie médicale que le Pr Raoult va probablement contribuer au recul de la Science.

Plus que jamais il est primordial d’éviter les faux espoirs et d’appliquer des méthodes éprouvées pour mettre en évidence les traitements efficaces. Même en cas d’épidémie, la Science doit rester ferme sur des bases.

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