Stéphane Debove, via Twitter, fait part d’un échange houleux avec la youtubeuse vulgarisatrice « Game of Hearth » (Laure) au sujet de sa vidéo sur le travail de Priscille Touraille. Pour Stéphane Debove « c’est équivalent à une vidéo qui présenterait « l’hypothèse » selon laquelle les pyramides ont été construites par des extraterrestres ».
Quel est l’intérêt pour le Cercle Cobalt et la zététique ?
L’objectif du Cercle Cobalt est d’expliquer que les discours pseudo-scientifiques et les raisonnements complotistes ne se résument pas à l’homéopathie, à la mémoire de l’eau, au 11 septembre ou encore aux pyramides égyptiennes. L’objectif est de prendre conscience que les sciences humaines et sociales (SHS) ne sont pas à proprement parler des sciences – ce qui ne signifie absolument pas qu’il n’y a pas des travaux de qualité – mais il existe en leur sein des travaux pseudo-scientifiques et complotistes 1.
Nous pouvons prendre l’exemple des idées indigénistes qui diffusent leur idéologie politique sous couvert de publications, l’épistémologie féministe, l’affaire Sokal au carré ou encore cet extrait de Pierre Bourdieu. Ce ne sont là que quelques exemples.
Plus encore, vouloir comprendre l’Homme en dehors de sa réalité matérielle est le meilleur chemin vers les idéologies et les réponses pseudo-scientifiques. La biologie et la théorie de l’évolution sont les cadres dans lesquels les chercheurs doivent réfléchir à ce que nous sommes pour comprendre nos comportements. Et plus généralement, en tant que zététiciens, nous pensons que la méthode scientifique et la théorie de l’évolution offre les meilleurs réponses pour s’opposer à l’influence des idéologies politiques (marxisme, post-modernisme) aux pseudo-sciences, et à la pensée complotiste.
Le Cercle Cobalt pallie au biais du milieu zététique
La prépondérance de l’idéologie de gauche dans le milieu sceptique/zététique se constate par un seuil de tolérance pour des travaux qui devraient nécessiter un debunkage. Certains zététiciens s’identifiant de gauche, expliquent leur blocage psychologique à critiquer les travaux pseudo-scientifiques issus de cette gauche de crainte que cela puisse « faire le jeu des extrêmes », des « anti-shs ». Ces zététiciens/vulgarisateurs sont en proie à un dilemme :
– soit, expliquer que les genders studies, l’épistémologie féministe et une partie des SHS sont des nids à pseudo-science avec le risque d’être relayés par des gens qu’ils n’apprécient pas ;
– soit, choisir de fermer les yeux pour la « bonne cause ».
Or, la zététique n’est ni de gauche, ni de droite. Cela ne signifie pas qu’un zététicien doit être neutre politiquement, ce n’est pas possible, mais signifie que la méthode scientifique ne varie pas en fonction de l’opinion des individus.
Pourtant, nous constatons que le milieu zététique ne débunke pas le marxisme (équivalent de la psychanalyse pour l’économie/l’histoire) ou Priscille Touraille. La meilleure façon de contrecarrer ce type de biais est la pluralité, la diversité au sein de la zététique sans jamais concéder sur la méthode, les sources et la bienveillance. Ainsi, face à cette situation de manque de diversité, j’ai créé le Cercle Cobalt pour réunir des chercheurs ou des personnes de formation scientifique qui sont en accord avec l’objectif principal du Cercle Cobalt.
Qui est Stéphane Debove ?
Stéphane Debove est un véritable vulgarisateur d’évopsy. Il diffuse du contenu sur sa chaîne Homo Fabulus, sur son site internet et on peut le suivre également sur Twitter. Il n’est ni un zététicien, ni un simple Youtubeur, c’est avant tout un docteur en biologie et psychologie de l’évolution. Il a obtenu sa thèse qui porte sur l’équité chez l’Homme en 2015 à l’ENS et a publié cinq articles en rapport à ce sujet. Aujourd’hui, il a arrêté la recherche comme profession mais continue bénévolement 2. Ancien Président de l’association « Café des sciences », il a été favorable à l’introduction des SHS dans l’association et a soutenu l’entrée de « Game of Hearth » (Laure) qui propage de la pseudo-science.
Le « patriarcat du steak »: science ou pseudo-science ?
Laure a mis en ligne une vidéo dans laquelle elle expose le travail universitaire de Priscille Touraille que des journalistes ont nommé le « patriarcat du steak ». Priscille Touraille est une anthropologue sociale qui affirme que l’explication dominante chez les chercheurs concernant le dimorphisme sexuel chez l’homme serait biaisé et qu’ils ne verraient pas ce que l’épistémologie féministe voit : la coercition masculine aurait privé les femmes de viande pour leur propre usage entraînant ainsi une réduction de leur taille alors qu’il aurait été « avantageux » pour les femmes d’un point de vue obstétrical et évolutif d’avoir une taille égale ou supérieure aux hommes. (lire notre article à ce sujet).
Comme le dit Laure dans sa vidéo : « tester l’idée selon laquelle le contrôle coercitif des femmes par la privation de nourriture est politiquement utile aux hommes, tout à fait défavorable aux femmes et inutile pour le bien de l’espèce quelle que soit la manière dont on regarde cela ».
L’affirmation « pour le bien de l’espèce » est un des nombreux exemples des erreurs de Laure dû à une incompréhension du raisonnement évolutif sûrement le fruit d’une méconnaissance de la biologie. N’ayant pas lu « Adaptation and Natural Selection » de George C. Williams elle ne sait pas qu’il est « le père » de la thèse que vulgarise Richard Dawkins dans son livre (à 9:15 Laure affirme que « c’est une hypothèse (le gène égoïste) peu goûtée par les théoriciens de l’évolution » terrible méconnaissance du sujet).
Laure, un retour de bâton pour Stéphane
Constatant toutes ces erreurs, Stéphane Debove contacte Laure pour lui expliquer dans un courriel (1, 2) que le travail de Priscille Touraille était en opposition avec le consensus scientifique en biologie au sujet du dimorphisme sexuel chez l’homme. Il est question de la biologie dans sa totalité dont l’évopsy n’est qu’une branche, ce consensus se retrouve dans d’autres disciplines comme en paléoanthropologie avec obstetrical dilemma (Washburn 1960 ; Trevathan 1987 ; Rosenberg 1992 ; Rosenberg et Trevathan 1995 ; Wittman et Wall 2007).
Mais Laure, formée en épistémologie féministe, n’accepte pas aisément la critique et n’entend pas se soumettre à cette injonction patriarcale. Malheureusement, au lieu d’avoir un débat argumenté, de prendre en compte le parcours universitaire de son interlocuteur, l’échange se résume à des attaques personnelles contre Stéphane Debove, présenté comme un dictateur du « Café des sciences » oppresseur et harceleur (pour avoir envoyé quatre courriels).
Malgré l’attitude agressive (l’arrogance immature), le rejet du consensus scientifique et de l’autorité scientifique, Debove rédigea un thread pour dire que le problème au fond pouvait venir de lui (qu’aurait-t-il dû faire ? Peut-être renoncer à la science pour la « bonne cause ») et d’un certain kumokun qui a envenimé la situation.
Le consensus scientifique
L’objet de la science est de nous rapprocher de la vérité sur le fonctionnement du monde et le consensus scientifique permet de penser que sur une question précise, par exemple le dimorphisme sexuel, nous avons une connaissance vraie jusqu’à preuve du contraire.
Le consensus scientifique n’est pas l’avis des scientifiques obtenu par un vote mais la tendance des résultats et publications obtenus par l’ensemble des chercheurs dans un domaine.
Autrement dit, quand Stéphane Debove tente d’informer Laure sur le consensus scientifique, ce n’est pas de l’autoritarisme mais l’informer de l’existence d’une connaissance vraie à laquelle s’oppose Priscille Touraille. Cette dernière ne propose aucune preuve ou découverte majeure qui forcerait les chercheurs à reconsidérer leurs travaux mais simplement un énième scénario d’hominisation. Certes, cela stimule l’imagination mais c’est faux et si nous devons retenir une chose c’est que la vérité existe et c’est la science qui nous l’offre.
Que faut-il retenir ?
Priscille Touraille a pu défendre une thèse allant à contresens de la science. Tout cela avec le soutien à l’époque de Françoise Héritier (ancienne directrice d’étude à l’EHESS et a succédé à Claude Lévi-Strauss au Collège de France) et de l’institution. Ainsi, le problème n’est pas, contrairement à ce que pense Debove, le souci de bienveillance lors de son échange mais un problème bien plus grave : la validation dans le monde universitaire SHS d’une hypothèse égale à celle qui soutient que «les pyramides ont été construites par des extraterrestres ».
Nous serions curieux d’entendre nos collègues zététiciens et Stéphane Debove sur cette situation.
One Comment