L’obscurantisme en France peut se présenter sous différentes formes. La caste médiatique, unanimement imprégnée d’idéologie anticapitaliste en général, recherche vigoureusement des informations qui pourraient « mettre à mal » la techno-industrie.
Donc quand en plus un scientifique, lui-même militant, comme le professeur de biologie cellulaire Gilles-Eric Seralini présente une étude en apparence scientifique sur le maïs OGM de Monsanto… Vous pensez bien que certains journalistes soient tout ouïe pour le relayer et cela avec une certaine efficacité médiatique et émotionnelle.
Les Faits
C’est en 2012, qu’un article du Nouvel Observateur va présenter l’étude de Séralini sur la toxicité du maïs transgénique NK 603 de Monsanto.
La sémantique a son importance dans cet article car les journalistes vont peindre le scientifique et son équipe comme de véritables lanceurs d’alerte.
On constate déjà le titre sensationnel de l’article « Oui, les OGM sont des poisons ! » et avec quelques assertions romancées pour flatter la paranoïa sur les « complots des multinationales ».
« Jusqu’en 2011, les chercheurs ont travaillé dans des conditions de quasi-clandestinité. Ils ont crypté leurs courriels comme au Pentagone, se sont interdit toute discussion téléphonique et ont même lancé une étude leurre tant ils craignaient un coup de Jarnac des multinationales de la semence. »
Photos dramatiques de rats déformés par des tumeurs monstrueuses à l’appui, l’article détaille comment ces animaux sont tombés malades après le traitement qu’on leur a fait subir.
Un échantillon de 200 rats a été soumis à deux régimes alimentaires différents, l’un à base d’OGM pour la première moitié des rats, et sans OGM pour l’autre moitié). Pour faire bonne mesure, le chercheur a utilisé de l’herbicide Roundup sur une partie du maïs distribué, ou dans l’eau de boisson des animaux. Enfin, l’expérience s’est étalée sur deux ans.
On apprend, en plus de la publication de l’étude de Séralini (relayé par la « très sérieuse » revue Food and Chemical Toxicology), qu’une semaine plus tard un livre du même auteur « Tous Cobayes » (Edition Flammarion) sort et reprend ces conclusions.
Au même moment, un film tiré de ce livre sort dans les salles de cinéma et montre à la Terre entière comment Monsanto décime les rats en les « étouffant dans leurs tumeurs ». Un autre documentaire du même tabac, intitulé « Oui, les OGM sont des poisons », a été diffusé sur France 5 en octobre 2012.
Et ne parlons pas de son acolyte Corinne Lepage (ancienne femme politique et présidente d’honneur du CRIIGEN, organisme militant de Séralini) qui lança peu de temps après un livre du même acabit.
On sent bien qu’il y a eu une stratégie de communication pour faire un maximum de « buzz » (comme on dit aujourd’hui) quitte à marcher allègrement sur l’éthique de mesure et de modération que doit avoir un scientifique quelle que soit d’ailleurs les résultats d’une étude.
Le souci c’est qu’il n’y a pas que ça, c’est toute la méthodologie de cette étude qui fut vivement critiquée de toute part par des scientifiques. Nous allons le voir maintenant.
Que reproche l’unanimité des scientifiques sur les résultats de l’étude de Gilles-Eric Séralini ?
Essentiellement, les critiques se basent sur 4 points :
- La taille insuffisante des échantillons : les 100 rats soumis ou pas aux OGM ont été eux-mêmes divisés en « groupe » de 10 soumis à des conditions différentes.
- Le manque de précision du régime alimentaire donné aux rats (cela a son importance notamment liée à la critique n°3).
- Le choix des rats de la souche Sprague-Dawley-Harman dont on sait depuis une étude du Cancer Research de 1973 que cette souche de rat a tendance à développer naturellement des tumeurs cancéreuses. D’autant plus quand son régime alimentaire est mal contrôlé.
- L’équipe Séralini a refusé de communiquer la totalité de ses données brutes.
On peut aussi s’amuser à citer quelques commentaires de scientifiques sur les (maigres) résultats de l’étude de l’époque :
« À mon avis, les méthodes, statistiques et la façon de rapporter les résultats sont très en dessous de ce que j’attendrais d’une étude rigoureuse – pour être honnête, je suis surpris qu’elle ait été acceptée pour publication. « – Pr. David Spiegelhalter, Université de Cambridge
« Aucune donnée sur la quantité de nourriture n’est fournie, ni sur la croissance. Cette race de rats est notoirement sujette aux tumeurs mammaires particulièrement lorsque la quantité de nourriture ingérée n’est pas restreinte. » – Pr. Tom Sanders, directeur de la Division de Recherches Scientifiques sur la Nutrition, au King’s College de Londres
Ne parlons pas également d’une tribune de chercheurs du CNRS qui, à l’époque, avait également les mêmes critiques et appelé à « un débat raisonné sur les OGM » et que « L’hypermédiatisation, savamment organisée, de cette étude » fait partie des « entraves à un débat serein ».
Néanmoins fin 2013, coup de théâtre : la revue Food and Chemical Toxicology qui avait initialement publié l’étude décide de la retirer en raison de son caractère « non concluant ». Inutile de dire que Gilles-Éric Séralini et tous ses soutiens ont immédiatement mis en cause des pressions que Monsanto aurait pu exercer sur la revue.
Cette hypermédiatisation a fait d’ailleurs réagir les agences sanitaires européennes et françaises (qui évaluent le risque comme je l’ai expliqué dans un article précédent).
Récemment, les études GRACE et G-TxYST menées au niveau européen ont mené à l’absence d’innocuité du maïs OGM de Monsanto, ceci dû à une méthodologie bien plus rigoureuse (notamment en faisant des groupes de 100 rats au lieu de 10 et en choisissant une autre souche de rats, le Vistar.
« Aucun risque potentiel n’a été identifié au cours de l’étude de 90 jours sur l’alimentation des rats avec le NK603. Les données G-TwYST de l’étude à long terme sur les rats nourris avec le NK603 n’ont pas identifié de risques potentiels non plus. »
Egalement en 2018, l’étude française GMO90+ dirigée par le Professeur Bernard Salles de l’université de Toulouse et réunissant des auteurs de l’INSERM, l’INRA et l’ANSES ont tiré les mêmes conclusions :
« En conclusion, (…) aucun biomarqueur d’effet nocif sur la santé ne peut être attribué à la consommation de plantes génétiquement modifiées par rapport à la consommation de leurs témoins quasi isogènes sans OGM. »
Beaucoup de bruits pour rien alors ? Malheureusement le mal est fait…
En effet, le coup de com’ alarmiste de Séralini, bien que lacunaire sur le plan scientifique, a profondément et négativement affecté la perception du public français sur les OGM (avec tout ce qu’il faut d’idéologie anticapitaliste qui a bon dos en France) ; d’autant que les trois études à grande échelle présentées ici qui tendraient à rassurer n’ont été évoquées qu’avec beaucoup de discrétion.
Les OGMs en France, qui avaient d’ailleurs déjà dû subir des fauchages intempestifs en 2008 par José Bové, n’ont vraiment pas la cote. Déjà, dans les années 2000, on constatait que 1/4 des universités européennes avaient arrêté leurs programmes de recherche sur les OGMs.
Actuellement, le maïs NK603 est interdit dans l’Union européenne tandis que le MON810 y est autorisé mais demeure interdit en France.
Il n’est guère étonnant que ce soit finalement les Etats-Unis ou la Chine qui récupèrent les grosses parts des biotechnologies végétales. Voilà pourquoi il devient important de débunker tous les « maux » que propageraient les OGM mais aussi de présenter leurs bienfaits qui sont trop souvent occultés.
Les dits « pays en voie de développement » ont d’ailleurs une vision beaucoup plus optimiste de ces technologies, cela vient surtout qui vont permettre à leur population de sortir de la sous-nutrition – chose que les jeunes européens (ou plus vieux), sans doute trop cloisonnés dans leurs villes citadines riches et développées semblent ne plus voir.